Quelques notes sur Saint-Louis-en-l’Isle pendant la Commune.

 

Aujourd’hui un nouveau manuscrit mais quasiment anonyme puisque son auteur a simplement laissé des initiales, T.C, un peu trop mystérieuses pour découvrir un nom derrière ces deux lettres. En 1871, il habitait l’Ile Saint-Louis et a été le témoin des événements de la Commune qui se sont déroulés dans cette île si proche de l’Hôtel de Ville. Manifestement, il  ne partageait pas les idées révolutionnaires du temps !

Finement calligraphié en noir dans des entourages géométriques rouges, ce manuscrit dévoile le vécu des habitants de l’Ile Saint Louis pendant la Commune jusqu’à l’arrivée des troupes versaillaises.  » La journée du 18 mars marquée par la proclamation de la Commune, l’amnistie des prisonniers, l’assassinat des généraux Lecomte et Clément Thomas, se rattachent quelques souvenirs pour l’île Saint-Louis : trois hommes du 95eme bataillon de la garde nationale campés sur la place située entre la mairie  du IVe arrondissement et la caserne Lobau, avaient été tués par les factieux. Aussitôt les habitants de l’île Saint-Louis commencent à dresser des barricades, pour se défendre eux-mêmes contre les attaques qu’on pourrait leur faire subir…. »

Les habitants s’organisent, un enterrement se déroule de façon rocambolesque quand il s’agit d’accompagner le défunt jusqu’au Père Lachaise et qu’à la Bastille, les vicaires recueillent quelques grossières injures et peinent à poursuivre leur chemin; la rue de la Roquette encombrée de barricades et la voiture qui doit effectuer quelques détours pour parvenir au cimetière. Le voyage aller s’étant déroulé dans des conditions difficiles mais avec la présence du corps comme laisser passer, le retour des accompagnants fut des plus mouvementé et l’hostilité de la foule obligea les ecclésiastiques à crier Vive la République pour preuve de leur civisme mais ce ne fut pas suffisant. La foule s’apprétait à les bousculer dans le canal quand miraculeusement un personnage harangue la foule en mentionnant que les vicaires sont dans l’exercice de leur fonction, monte sur le siège de la voiture et fait partir les chevaux.

Le 19 mars, le curé accompagnant un nouveau convoi mortuaire est contraint de placer quelques pavés sur la barricade du pont Marie. Rue de la Roquette, l’hostilité est forte, la rue était dépavée sur toute sa longueur avec des barricades rapprochées les unes des autres et les canons braqués vers la place de la Bastille. Le corbillard avait été laissé en route, toutes les rues étaient dépavées et les barricades fermées, le corps avait été porté à bras en faisant un long détour par les boulevards extérieurs. Au retour le curé de Saint Louis est pris en charge place de la Bastille par un lieutenant qui le soustrait à l’hostilité de la foule et le conduit par des petites rues jusqu’à l’église Saint Paul.

L’Ile connait un calme relatif, Le 27, on connait le résultat des élections, que le scripteur qualifie d’illégal. Etaient élus dans le IVe arrondissement : Lefrançais, Arthur, Arnould, Clémence, Amouroux et Gérardin.

Le 4 avril, un séminariste de saint Sulpice prévient le curé que l’Archevêque vient d’être arrêté. Des insurgés traverse l’Ile en criant qu’ils vont piller Notre-Dame et qu’ils reviendront ensuite à Saint Louis. L’Eglise fut alors fermée et les objets précieux cachés. Par la suite le citoyen Amouroux délégué au IVe arrondissement demande l’établissement d’un club dans l’église et le renvoi immédiat des soeurs et frères. Lors de la visite de leur maison rue chanoinesse, les délégués constatent qu’elle accueille des salles de jeux pour que les ouvriers viennent y passer leur dimanche, ils apprennent que c’est le curé de Saint Louis qui finance l’endroit ce qui emporte la sympathie des délégués pour cette initiative.

L’Eglise Saint-Louis en l’Ile in l’Ile Saint-Louis

Le vendredi saint, des rumeurs circulent dans l’Ile sur la création d’un club au sein de l’église or Saint Louis accueillait de nombreux fidèles car les églises voisines étaient fermées. On prévient le curé que l’église serait pillée vers minuit et ses prêtres arrêtés. Pour parer à cette éventualité, l’église fut gardée et le curé logé dans un appartement quai de Béthune. Une délégation se rendit à l’Hôtel de ville pour obtenir que l’église soit préservée. La semaine sainte se déroula sereinement. Le curé est inquiété à son retour d’un dîner dans le quartier de la Madeleine, arrêté place de l’Hôtel de Ville, des ordres furent néanmoins donnés pour le laisser aller.

Le 21 avril, la Commune voulut expulser les soeurs de la rue Poulletier, mais une intervention surseoit à cette opération.

Le 26 avril, des fédérés menacent d’entrer dans l’église pour y établir un club, des ordres sont donnés pour les repousser par la force

Le 2 mai, Duval délégué à la Mairie du IVe arrondissement et chargé des écoles vient prévenir les soeurs de quitter l’école pour faire place aux citoyennes nommées par la Commune. Suite à diverses interventions, les gardes nationaux étrangers sont chassés de la maison et remplacés par des habitants du quartier.

Le dimanche 21 mai, les Versaillais entrent dans Paris, dès le lundi matin, on avait affiché dans l’île la proclamation de Delescluze ordonnant de lever tous les pavés pour dresser des barricades. A midi les ordres du comité de Salut Public étaient exécutés.

Le 23 mai, l’incendie des Tuileries jeta sur Paris ses premières lueurs.

Le 24 mai, l’Ile était entièrement entourée de flammes, les balles venaient frapper les murs de l’église et tombaient dans le jardin du presbytère.

Le 25 mai le drapeau tricolore flottait sur la tour de saint Germain l’Auxerrois et sur le frontispice du Panthéon, le drapeau rouge rouge flottait encore sur la coupole.  » On entendit une bande de furieux, qui allait, disait-elle, mettre le feu à Notre-Dame pour revenir ensuite à Saint-Louis. Vers neuf heures, on voit apparaître sur le quai Saint-Bernard quelques détachements qui prennent position, en même temps trois canonnières remontent la Seine mais leur secours ne fut pas nécessaire dans l’attaque de l’île. Les barricades furent faiblement défendues, et à dix heures et demie, un régiment de ligne le 118 ou 122eme croyons nous, traversa l’île avec son commandant en tête. Il était temps; on trouva sur un chef fédéré tué à une barricade l’ordre de venir avec ses hommes, à onze heures mettre le feu à l’église et de fusiller tous ceux qui s’y trouvaient. Au même instant, on apportait à l’église un fédéré tué d’une balle, ceux qui le portaient, munis des insignes d’ambulanciers n’étaient autres que des fédérés convertis par la force des choses… »

Le 26 mai des chasseurs à pied vinrent enlever du clocher, le drapeau rouge que la Commune y avait fait placer. Les batteries du Père-Lachaise envoyèrent quelques obus sur l’église mais sans dégat. Les perquisitions pour retrouver des armes durèrent toute la journée et le soir on fit boucher les orifices des caves pour empêcher d’y verser du pétrole.

 » L’Ile Saint Louis avait alors un aspect singulier : le gaz n’était pas allumé, toutes les maisons étaient fermées, les pavés des barricades à moitié démolies, se mêlaient dans la rue aux défroques des fédérés; les soldats exténués de fatigue prenaient quelques courts instants de repos étendus sur le trottoir pendant que leurs compagnons montaient la garde, ou préparaient quelque nourriture à un petit feu allumé le long des maisons; l’incendie éclairait de ses tristes lueurs ce sinistre et lugubre spectacle… »

Le 28 mai du haut de l’église on pouvait voir le combat qui se livrait au Père-Lachaise

 » Enfin l’insurrection fut étouffée le Dimanche 29 mai, et tandis qu’une courte proclamation du maréchal de Mac Mahon annonçait la fin de cette terrible lutte de l’ordre contre l’anarchie, le corps de Monseigneur Darboy que l’on venait de retrouver, traversait l’île Saint-Louis  » .

Le curé de Saint-Louis en l’Ile était à l’époque l’abbé Louis-Auguste-Napoléon Bossuet. Ce prélat avait constitué une belle collection d’ouvrages sur Paris qui sera dispersée aux enchères du 11 au 20 avril 1888. Le catalogue, édité par la librairie Damascène Morgand, est disponible à la consultation sur le site de Paris-Libris : Bibliographie .

Il n’est pas étonnant que cet ouvrage porte l’ex-libris d’Alexis de Rédé, le célèbre habitant de l’Hôtel Lambert dont les funérailles solennelles furent célébrées le 14 septembre 2004  en l’église Saint-Louis-en-l’Ile, cette église étant au centre de ce récit.

Ce manuscrit devait refléter les convictions de l’homme qui un temps, en fut le dépositaire.

Alexis de Rédé (1922-2004) avait fastueusement réaménagé l’étage noble de l’Hôtel Lambert à la pointe de l’Ile Saint-Louis.

Grand collectionneur au goût particulièrement sûr, il était aussi l’organisateur de fêtes comptueuses comme le Bal des Têtes (23 juin 1957) et le Bal oriental (5 décembre 1969) où se pressaient le Tout Paris et la cafe society.

Et pourquoi ne pas imaginer que cet ouvrage à l’abri du silence de la bibliothèque de l’Hôtel Lambert, a conservé les bruits étouffés de ces fêtes magnifiques ?

 

 

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Quelques notes sur Saint-Louis en l’Isle pendant la Commune 1871. Un volume grand in-4 (35 cm x 26,5 cm), 31 pp.

Manuscrit sur vélin, calligraphié en noir dans un encadrement géométrique de filets rouges.

Page de titre enluminée aux armes de la famille Bossuet. Le curé de Saint-Louis en l’Ile (Louis-Auguste-Napoléon Bossuet) était un arrière petit-neveu du grand prédicateur. Une lettrine, un cul de lampe.

1/2 maroquin à coins bordé de deux filets dorés, tête dorée. Dos à cinq nerfs (frotté et usé). Reliure signée René Aussourd. Ex-libris Alexis de Rédé.

Très intéressante relation des événements qui se sont déroulés de mars à mai 1871 dans l’Ile Saint-Louis.

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