Robert DARNTON. Editer et pirater. Le commerce des livres en France et en Europe au seuil de la Révolution.

 

Le hasard d’un passage par la rue Rambuteau (75004) devant la vitrine de la célèbre librairie de Colette Kerber (au 23) m’a fait découvrir un ouvrage pour libraire : « Editer et pirater. Le commerce des livres en France et en Europe au seuil de la Révolution » de Robert Darnton.

La lecture de la 4eme de couverture éveille l’intérêt : « Comment expliquer le pouvoir du livre à l’époque des Lumières si on ignore le fonctionnement de l’industrie de l’édition ? Il importe de savoir que la moitié au moins des livres vendus en France entre 1750 et 1789 étaient piratés.

Du fait des politiques centralisées de l’Etat, soucieux de surveillance, la Communauté des libraires et imprimeurs de Paris monopolisaient les privilèges des livres et ruinait presque toute édition dans les provinces. En réaction, hors de la capitale, les libraires s’approvisionnaient de plus en plus auprès de maisons d’édition qui produisaient des livres français en des lieux stratégiques hors des frontières du royaume-dans ce que Robert Darnton appelle le « Croissant fertile » : d’Amsterdam à Bruxelles, par la Rhénanie, à travers la Suisse et en descendant vers Avignon, les éditeurs pirataient tout ce qui en France se vendait avec quelques succès.

Grâce à une main d’œuvre et à un papier peu coûteux, les contrefaçons étaient moins chères que les œuvres produites avec privilège à Paris. En conséquence, une alliance naturelle se développa entre les librairies de province et les éditeurs étrangers qui razziaient le marché avec un esprit d’entreprise audacieux. Tel fut l’autre visage des Lumières : un capitalisme de butin « .

Louis-Sébastien Mercier, publié à Amsterdam.

Un auteur comme Louis-Sébastien Mercier pour son Tableau de Paris que nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer dans ce blog, se plaignait des contrefaçons de ses ouvrages dont il peinait à suivre les parutions qui le dépossédaient de rentrée d’argent tout en le sauvant aussi de la censure royale !

Au long des pages, Robert Darnton dévoile les pratiques de ces éditeurs de contrebande dont les affaires étaient florissantes.

L’auteur analyse le fonctionnement du commerce du livre au XVIIIe siècle. Il décrit les règles du jeu et comment on y jouait et parfois aussi comment on y perdait. A l’époque Paris était la capitale du XVIIIe siècle. Les écrivains parisiens donnaient le ton en littérature. Un croissant fertile de maisons d’édition s’étendait d’Amsterdam à Bruxelles, par la Rhénanie et à travers la Suisse pour atteindre Avignon, alors territoire papal.

Carte des maisons étrangères d’édition.

Les Européens partout lisaient des livres en français. Paris avait établi le style en littérature depuis le XVIIe siècle, et vers 1750, la plupart des livres en français étaient produits par des éditeurs étrangers qui répondaient à la demande où qu’ils se trouvassent. Dans la plupart des cas le piratage était légal. Un pirate en Hollande ou en Suisse pouvait réimprimer un livre publié en France sans enfreindre la loi car il n’existait pas de droit d’auteur international.

Robert Darnton dresse quelques portraits de ces corsaires qui étaient honnis de la librairie parisienne.  Genève est une des plaques tournantes de ces activités clandestines. Ayant fourni des livres aux huguenots français depuis le XVIe siècle, les éditeurs genevois connaissaient toutes les ficelles pour mener des opérations discrètes. Ces activités d’édition clandestine nécessitaient la formation d’ententes, de pactes de non-agression et des alliances destinées à partager les risques et les profits. Les deux plus célèbres écrivains du siècle, Voltaire et Rousseau décédèrent à un mois d’intervalle en 1778. Les années suivantes, les éditeurs se bousculèrent pour publier des éditions définitives de leurs œuvres et le piratage fut inouï. Mais pour réussir toutes ces affaires, les éditeurs éloignés de Paris embauchaient des agents sur place pour choisir les livres les plus prometteurs. Ils entretenaient aussi des relations suivies avec les auteurs. L’âge d’or de la piraterie d’édition s’acheva avant la Révolution.

Même s’il est paradoxal de l’exprimer ainsi, la piraterie des éditeurs étrangers allait assurer l’accès à des biens culturels précédemment réservés à de petits cercles privilégiés.

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Robert DARNTON. Editer et pirater. Le commerce des livres en France et en Europe au seuil de la Révolution. Traduit de l’anglais par Jean-François Sené. Paris, Gallimard, 2021, 476 pp. 25 euros.

Robert Darnton (1939-  ) est un historien américain spécialiste du siècle des Lumières et de l’histoire du livre sous l’Ancien Régime. 

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