L’oeuvre de Pierre Mac Orlan est intimement liée à Paris, ses quartiers populaires et aussi ses bas fonds. Comme nous sommes centrés sur nos thèmes parisiens, nous avons déjà croisé à plusieurs reprises différents titres de cet auteur : La couronne de Paris, Montmartre et nous aurons certainement l’occasion d’en présenter d’autres. Nous avons aussi déjà évoqué André Dignimont, célèbre artiste montmartrois du milieu du 20e siècle qui a su apporter sa touche réaliste à bien des illustrations. Promenades montmartroises de Dorgelès, Paris de ma fenêtre de Colette. A regarder de près les différentes eaux-fortes présentes dans Nuits aux bouges, nous trouvons aussi une proximité avec un autre illustrateur, Vertès, qui a lui aussi capté l’atmosphère interlope des bas fonds dans ses illustrations de rue Pigalle de Francis Carco.
Dans Nuits aux bouges, Pierre Mac Orlan nous plonge dans un univers mystérieux : » Le mot bouge est évocateur, et un peu tombé en désuétude. Tel qu’il est, il éveille dans l’imagination populaire une inquiétude enrichie par un grand nombre d’images mystérieuses, où l’assassinat tient le rôle essentiel et final. A vrai dire, il faut remonter dans le passé de Paris pour retrouver le bouge en pleine prospérité et paré de tous les attributs qui lui conféraient une réputation puissante de mauvaise aloi. Il en existe encore de nos jours…bien qu’ils ne soient plus construits sur le modèle de ce que notre imagination se plaît encore à réaliser sous le signe de ce mot…. »
Pierre Mac Orlan débute son ouvrage par une rétrospective historique et évoque les célébrités que l’on trouvaient au cours des siècles dans ces endroits ou qui écrivirent sur ces lieux.
Après la Première guerre mondiale, les bouges changent d’apparence et « le pittoresque y perd ce que l’hygiène des établissements, somme toute, publics a pu y gagner » mais cela n’empêche pas l’auteur d’évoquer quelques souvenirs du Lapin blanc situé dans les environs du boulevard Barbès, « là se donnaient rendez-vous les bandes les plus fameuses qui désolaient la Butte Montmartre et particulièrement le Lapin Agile qui chaque semaine subissait un siège en règle… »
Et puis, il campe les personnages qui tiennent ces lieux : « Pour changer un quelconque petit cabaret de la banlieue la plus livide de Paris en quelque chose de sournois et de sinistre il suffit de la présence de quatre ou cinq hommes, de ceux qui portent sans tromperie leur destin sur leur figure » Puis vient la présentation des filles : » Ces jeunes femmes et ces jeunes filles, à peine sorties de l’enfance, qui n’étaient ni des flappers, ni des backfishs, laissèrent dans l’histoire de Paris une image que Lautrec et Steinlein rendirent poétique et internationale… » et puis surgissent les clients avec les nuits de soldats, de matelots, de dockers » Avec la disparition dans la poussière et les plâtras de la célèbre Grand Roue qui tournait au-dessus des « boîtes » du quartier de l’Ecole militaire, la plupart des brasseries de filles à soldats furent fermées… » jusqu’aux activités touristiques organisées pour les amateurs d’émotions fortes : » Des bouges d’opérette se sont créés à l’usage des visiteurs. On y voit des gigolettes, habillées par Steinlein, qui parlent de « suriner un pante » et parfois de « faire suer un chêne ». Les chansons d’apaches y retrouvent un lustre nouveau… »
Malgré les évolutions du temps, Pierre Mac Orlan achève son ouvrage par ces derniers mots : « On aurait pu croire qu’un plaisir aussi étroitement lié aux vagabondages de l’imagination ne serait modifié, particulièrement depuis 1918. Il n’en est rien. La fille publique de maisons closes s’épanouit à l’abri de tous les cataclysmes qui ne parviennent même pas à modifier et la coupe de sa tunique et l’extraordinaire candeur de son âme souvent enfantine. »
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MAC ORLAN (Pierre). Nuits aux bouges. Paris, Flammarion, sd (1929). Un volume petit in-4 (24 cm x 19 cm), 71 pp.
Eaux-fortes de Dignimont (Couverture (1) et hors texte (5).
Un des 750 exemplaires numérotés sur vélin des Papeteries de Rives.
Reliure cartonnée illustrée sur le premier plat et le dos de scènes de rue, la nuit. L’illustration n’est pas signée mais elle renvoie étonnamment aux eaux-fortes de Dignimont illustrant l’ouvrage. L’aquafortiste a peut-être poursuivi son travail sur la reliure…Couvertures conservées. Tête dorée.
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