BELOT (Gabriel). L’Ile Saint-Louis.

 

L’Ile Saint-Louis a souvent inspiré les artistes pour des oeuvres de facture classique ou résolument contemporaine comme l’est l’ouvrage de Gabriel Belot. Nous avons déjà croisé ce graveur de talent dans les pages du blog avec ses illustrations de Voyage de la rue des Ecouffes à la rue des Rosiers et nous allons à nouveau l’évoquer aujourd’hui pour le premier livre dont il a assuré l’intégralité de la réalisation : L’Ile Saint-Louis.

Gabriel Belot (1882-1962). Illustrateur, graveur. Gamin des faubourgs, il se forme en autodidacte ayant commencé sa vie professionnelle en usine. Mais il a certainement acquis auprès de son grand-père doreur sur cuir, le goût des livres. En 1913, il expose pour la première fois au Salon des Indépendants. Il devient sociétaire de La Nationale des Beaux Arts et vice président de la Société de gravure originale. En 1917 paraît l’île Saint Louis, recueil de poèmes en prose,  le premier livre que Gabriel Belot écrit, grave et tire lui-même. Il en illustrera bien d’autres pour des éditeurs réputés ou pour son propre compte.  Dans les années 20 et 30, proches de tous ceux qui gravitaient autour du monde du livre, journalistes, auteurs, dessinateurs éditeurs, il produit peintures, gravures qui rencontrent un certain succès, exprimant un talent tout à la fois classique et nouveau.

Arrêtons nous aussi quelques instants sur le personnage à qui Gabriel Belot dédie son ouvrage et avec qui il partageait ses convictions sociales.

Han Ryner (Henri Ner) (1861-1938 ) philosophe, écrivain et journaliste proche du mouvement anarchiste. Dans le Crime d’obéir, publié dans la revue La Plume, il met en scène un réfractaire à l’exploitation économico-sociale de l’homme, sorte d’objecteur de conscience avant la lettre. Lors de l’affaire Dreyfus, il participe activement à sa défense avec ses amis de la revue Demain dont il est rédacteur en chef. Il collabore à l’Art social de Gabriel de La Salle, à l’Art pour Tous, au Château du Peuple d’Emile Vita, au Cri du Quartier, à l’Ennemi du Peuple d’Emile Janvion et Francis Jourdain, à l’Humanité nouvelle d’Augustin Hamon (1900) et tient la rubrique littéraire et philosophique dans Les Partisans. En 1905, dans son roman Le Sphinx rouge, il pose le problème de la guerre internationale. Sa dénonciation de l’insincérité dans Le Massacre des Amazones (1899) et dans Prostitués (1904) lui vaut une conspiration du silence. Un roman d’anticipation utopique paraît en 1914 : Les Pacifiques. Il y décrit une société anarchiste dans laquelle les humains vivent en harmonie entre eux et avec la nature, cette société ayant vu le jour suite à une véritable révolution non violente. Durant la première guerre mondiale et autant que la censure lui permet, il lutte pour l’objection de conscience. La guerre terminée, il défend certaines victimes de la guerre : réfractaires, insoumis, emprisonnés politiques. Par la suite, il prend part aux mouvements anticolonialistes et aux campagnes pour l’instruction hors des méthodes et programmes officiels. Il considère qu’aucune société réellement humaine ne peut advenir sans une révolution intérieure opérée par chaque individu en lui-même. Il ravive la figure du sage antique, attaché à sa liberté intérieure et dédaigneux des lois de la cité. Son éthique s’inspire des philosophes antiques, Socrate, Epicure, les Cyniques et les Stoïciens.

La brièveté du texte de l’Ile Saint-Louis m’incite à le reproduire in extenso afin que vous puissiez profiter du  charme de sa lecture et ses illustrations.

 » Lequel d’entre nous rêveur ou positif amoureux du passé ou du présent, ne s’est laissé prendre au charme mystérieux; au parfum subtil qui émanent de notre vieux Paris ? Loin de moi la pensée de rejeter tout ce qui n’est pas vieilles pierres ou vieux souvenirs. Je sais admirer comme un autre les énergies déchaînées, les activités foudroyantes et farouches; mais comment rester indifférent devant ces fenêtres et portail somptueux des hôtels lézardés et moussus ? Leurs regards éteints de bonnes vieilles semblent nous implorer dans un dernier sursaut d’agonie avant de s’effondrer sous le pic du démolisseur, ils veulent dirait-on nous émouvoir, vivre encore en notre appui malgré le halètement des autobus et la plainte déchirante des remorqueurs et des grues.

L’Ile Saint-Louis possède au plus haut degré la couleur et le parfum émouvant des vieilles choses. Je ne veux nullement faire l’archéologue n’étant de ma nature que flâneur ou badaud. J’essaie de dire ce que mon âme me suggère. Que l’on ne s’attende pas à trouver ici un cours d’histoire indiquant des dates précises et les noms des hommes célèbres qui ont hanté les fastueuses demeures. Pour cette sorte de renseignements les guides ne manquent point. Du plus loin que je me souvienne j’admirai les choses et les êtres sans jamais m’inquiéter de leur nom. Je subissais le charme pour moi tout était là. Mes émotions présentes s’entrelacent aux émotions de mon passé. Je me souviens de l’époque où tout enfant je me sentais impressionné par le charme subtil de cette île. Je me rappelle mes promenades où les grands arbres qui l’environnent de toute part, mes stations devant l’hôtel Lambert, le pain que je donnais aux pigeons, les corbeaux qui croassaient. Que d’étapes délicieuses que de sourire charment mon imagination de petit être rêveur…Rien ou presque rien n’a été changé depuis. Les arbres ont grandi et parfois me paraissent plus petits. L’hôtel Lambert a gardé son air pensif, les pigeons tournent toujours au dessus de l’île lui faisant une auréole de leur blanc plumage. Je ne sais pas, ne veux pas savoir combien vit un pigeon : pour moi ce sont toujours les mêmes s’ils ne me reconnaissent plus c’est que j’ai grandi et qu’ils ont leurs raisons de se méfier des hommes plus que des enfants. Seuls les pauvres corbeaux ont été délogés, mais bien malins qui peut prédire qu’ils ne reviendront plus. Je retrouve sans altération à peu près tout ce qui charmait mes jeunes ans.

Par les clairs matins de printemps comme seul Paris en possède, vieilles maisons, arbres immenses, remorqueurs et grues s’harmonisent. Ce fer prodigieux qui semblait être pour toujours avec la pierre et l’arbre; semble s’être adouci au contact de l’île Saint-Louis. Les grues déposent le sable avec des gestes si docilement précis que vous ne leur en voulez plus d’être venues troubler le passé…

Et les gueux dont nulle part ils n’ont un paradis semblable à ces berges hospitalières. C’est pour eux les bucoliques. ils sont étendus sur une herbe drue qui sort d’entre de bons vieux pavés. S’endormant au rythme berceur du battoir des lavandières dont on entend le rire fuser à travers les jours du bateau lavoir. Tout vous incite en cette île heureuse à rêver depuis la fumée des bateaux qui passent jusqu’au pêcheur à moitié endormi qui fait corps avec la berge. Pénétrons plus avant dans ce grand village. Et nous avons le spectacle des lointaines petites villes de province, coin perdu dans Paris oasis du calme, les heures du haut du clocher s’égrènent et tombent lourdement fatiguées. Ce sont de si vieilles personnes…Des enfants en files bruyantes sous la conduite des béguines, s’acheminent vers la messe. Oh oui c’est bien la province ! Province cet arbre en panache qui émerge du vieux mur calamiteux de la rue Poultier. Au dessus d’une borne fontaine couverte de mousse fraiche. Province ! Les commerces qui réunies en parlote sous quelques vieux portail indigné d’un pareil voisinage font et défont les réputations des gensse. Province encore ces artisans catarrheux, vivant une existence de cloporte derrière les vitres de leurs échoppes minuscules.

Le grand crépuscule est arrivé et si nous voulons vivre l’or du passé, allons nous accouder à la pointe de l’Ile Saint Louis. C’est l’apothéose de la vieille pierre et du vieux végétal. L’agonie rouge s’infiltrant au travers des dentelles du feuillage vous étreint et la mélancolie des choses anciennes se dresse si puissante qu’il semble revivre toutes les époques antérieures. Soudain vous avez un sursaut : un long cri gémit et pleure en ondes grandissantes et semblable à quelques monstres venant compléter la mort du jour : la cheminée d’un remorqueur émerge de l’eau glauque vomissant son immense panache de fumée noire, derrière elle à peine distinct suivent en prisonniers dociles un lourd chapelet de chalands…c’est un glissement…c’est un rêve… »

Avoir sous les yeux un ouvrage conçu, rédigé, illustré et réalisé par Gabriel Belot permet de retrouver cet artiste rare qui soigne tous les détails qui permettent d’apprécier un livre : format, typographie, mise en page, couleurs, papier, illustration et texte. L’Ile Saint-Louis offre toute cette richesse d’émotion bibliophilique.

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BELOT (Gabriel). L’Ile Saint-Louis. Paris, 1917. Sous portefeuille (27,5 x 20,5 cm), 23 feuillets sur double page et un portefeuille contenant les suites.

47 bois originaux in et hors-texte la plupart tirés en deux tons.

Un des 50 exemplaires numérotés sur papier de chine signé par l’auteur après 10 sur Japon.

Notre exemplaire contient sous portefeuille (Chine) une suite des bois sur Chine (46/47).

Un volume broché sous couverture illustrée rempliée (dos avec légers accidents), un portefeuille pour les suites. L’ensemble sous portefeuille cartonné fermé d’un ruban. Notre exemplaire est exempt de rousseurs ce qui pour un Chine, est rare.

Malgré les quelques légers défauts signalés, bel exemplaire tel que paru et dans un bel état de fraîcheur.

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