Nous avons déjà évoqué le sulfureux poète devenu académicien Jean Richepin dans un de ses ouvrages sur le Paris qui lui était cher, voir ici.
Dès les années 1860, le naturalisme émergeait en littérature, il allait connaître sa consécration avec la publication de l’Assommoir de Zola en 1877. Jean Richepin chantait une nouvelle bohême moins douce que celle des romantiques et s’inscrivait dans ce courant. Avec sa Chanson des gueux, publié en 1876 (Librairie illustrée), il touche du premier coup le grand public. Quelques scènes trop vives émeuvent et peu après sa publication le volume est interdit car selon les censeurs de l’époque, il contenait des outrages à la morale populaire et aux bonnes moeurs. Jean Richepin y dépeignait un peuple semblant sortir tout droit de la Cour des Miracles. L’ouvrage fut saisit le 24 mai 1876 et le 17 juillet 1876, le tribunal de la Seine condamnait Richepin, l’imprimeur et l’éditeur pour outrage à la morale publique et aux bonnes moeurs. L’appel fut interjeté mais le jugement confirmé en ordonnant en plus la suppression et la destruction du livre. La chanson des gueux coûtera 500 francs d’amende et un mois de prison à Sainte Pélagie à l’auteur. Après avoir purgé sa peine, Jean Richepin s’engagera comme matelot sur un navire marchand.
Les pièces incriminées et supprimées (Fils de Fille, Idylle de pauvre, Voyou, Frère il faut vivre) ont été publiées dès 1885 dans un tiré à part avec un portrait à l’eau-forte et l’auteur et la mention Londres, J.-J.Mackensie Stuart and Ryde.
Dans un style très divers y compris argotique, La chanson des gueux contient plus de cent poèmes répartis en chapitres rassemblés sous trois grands ensembles : Gueux des champs. Chansons de Mendiants, Les plantes, Les choses, Les bêtes, L’odyssée du vagabond; Gueux de Paris. Les quatre saisons, au pays de Lagonji; Nous autres gueux. Nos gaités, Nos tristesses, Nos gloires; Epilogue. La fin des gueux. Jean Richepin y décrit en vers la vie misérable des vagabonds.
L’ouvrage rencontre un vif succès et touche un large public. Le procès, la condamnation et l’emprisonnement de l’auteur procurent une notoriété inattendue au livre. Ce qui sans doute allait à l’encontre de l’objectif recherché. La polémique faisait rage le Gaulois qualifiait la chanson des gueux de » livre atroce » et souhaitait » qu’il soit administré comme vomitif aux conservateurs qui font risette aux radicaux » et Flaubert commentait ironiquement de la sorte : » Si seulement on avait exhibé Richepin au profit des pauvres, déguisé en Hun de la conquête, pour donner aux parisiennes le goût de la beauté barbare ! Mais lui voler trente jours de liberté, c’est de la folie, ça n’a pas de nom, c’est à faire rougir d’être français »
Malgré ces ennuis judiciaires, l’ouvrage fut régulièrement réédité. Aujourd’hui nous vous présentons une édition en tirage limité, illustré par A.Marchand, éditée en 1926.
Ce qui retient notre attention dans cet exemplaire, ce sont les huit aquarelles originales parsemées au long des pages par Georges Villa qui a donné son exemplaire à l’illustrateur Jocelyn Mercier.
Jocelyn Mercier (1926-2006) après avoir été barman et prestidigitateur dans le Paris d’après-guerre se retire en Anjou pour exercer ses activités de peintre-aquarelliste, illustrateur, graveur et créateur d’ex-libris.
A quelle occasion a-t-il rencontré Georges Villa (1883-1965) son aîné qui lui a donné l’ouvrage illustré de ses aquarelles ? Il est difficile de le dire. L’envoi de Georges Villa en début d’ouvrage mentionne que l’ouvrage offert était issu de sa bibliothèque » A Jocelyn Mercier, le charmant confrère, dont le talent promet de belles oeuvres qui embelliront les bibliothèques, je dédie cette chanson des gueux qui me rappelle le temps où j’étais, moi aussi!…bibliophile…!. et sur la page de titre avec la signature de l’illustrateur « orné de 8 aquarelles originales par Georges Villa 1937 » Les aquarelles ont donc été réalisé à cette date et l’ouvrage offert postérieurement.
Les huit aquarelles de Georges Villa se fondent subtilement dans le texte et lui donnent une touche d’humanité.
Georges Villa, caricaturiste, peintre, lithographe. A été élève aux Beaux-Arts de Paris. Il entame une carrière d’illustrateur à travers des dessins humoristiques. Il est invité en Russie par le grand-duc Wladimir, oncle du tsar Nicolas II pour y dessiner des portraits d’officiers. Rentré à Paris, il participe à la première guerre mondiale et devient officier pilote. Après la guerre, il est une figure du Montmartre des Années folles et est connu pour ses caricatures et portraits. Il illustre aussi des livres comme l’île aux Pingouins d’Anatole France (La Connaissance, 1922), le Capitaine Fracasse de Théophile Gautier (Les Eclectiques du livre, 1935) ou les Contes Fantastiques d’E.Poe (1938). C’était aussi un bibliophile averti.
Villa et Richepin se connaissaient certainement et la justesse des illustrations du peintre renforce la vigueur des propos du poète.
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RICHEPIN (Jean). La chanson des gueux. Paris, André Plicque, 1926. Un volume in-8 (26 cm x 19,5 cm), 320 pp.
Illustration de A.Morand (29 compositions dont 17 hors texte)
Un des 420 exemplaires sur vélin de rives numérotés.
1/2 Chagrin. Dos à cinq nerfs. Caissons décorés de fleurons dorés. Titre et filets dorés. Couvertures conservées. Quelques légères rousseurs éparses.
Notre exemplaire est unique. Il a été donné en 1937 à Jocelyn Mercier (graveur et illustrateur) par Georges Villa (Long envoi signé en début d’ouvrage). Georges Villa l’a orné de huit aquarelles originales in texte. Georges Villa, figure du Montmartre des Années folles connu pour ses caricatures et portraits.
Notre exemplaire comprend aussi une photo ajoutée de Jean Richepin (celle présente au début de la page) et l’ex-libris de Jocelyn Mercier.
Bel exemplaire.
Vendu.
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Prochaine parution lundi 27 juin. A.de Saint-Exupéry. Le Petit Prince, 1943.
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