Pour passer dans un premier temps un délicieux moment de lecture et dans un second, pour conserver un beau livre dans votre bibliothèque, je vous invite à acheter, Charlotte Guillard. Une femme imprimeur à la Renaissance.
Rémi Jimenes a su faire de sa thèse un passionnant ouvrage de découverte d’une femme libraire qui dirigea le Soleil d’Or, l’une des plus puissantes entreprises de l’édition parisienne dans le second tiers du XVIe siècle. De plus, une riche iconographie nous transporte dans l’univers de la librairie à La Renaissance.
Autant l’avouer tout de suite, j’ai une certaine appréhension quand je consulte un ouvrage rédigé par un universitaire. Les souvenirs de textes touffus et de notes abondantes qui cassent le rythme de lecture, m’incitent souvent à passer mon chemin peut-être à tord mais malheureusement souvent à raison. Je peine parfois à trouver mon bonheur dans les richesses de ces traités savants qui il faut en convenir, ne sont pas immédiatement accessibles.
Mais aujourd’hui j’ai plaisir à vous présenter cet ouvrage passionnant qui échappe aux travers ci-dessus évoqués.
Alors si comme moi vous ne soupçonniez pas l’importance de cette femme même si l’enseigne du Soleil d’Or avec l’ombre de Gering évoquait quelque chose pour vous, je vous invite à la découvrir dans les lignes ci-après.
Charlotte Guillard naît au début des années 1490 dans le Maine, dans un milieu de commerce et de robe. Elle épouse Berthold Rembolt en 1507 et entre en quelque sorte en librairie. En effet, Berthold Rembolt est associé depuis 1494 avec l’imprimeur Ulrich Gering, rue de Sorbonne à l’enseigne du Soleil d’Or. Gering a installé la première presse typographique française dans les locaux de la Sorbonne en 1470 puis avait emménagé en 1473 avec ses associés Michael Friburger et Martin Krantz à l’enseigne du Soleil d’Or, rue Saint-Jacques puis en 1483, rue de la Sorbonne.
En 1507 le couple s’installe rue Saint Jacques. A partir de 1508 le rythme de publication du Soleil d’Or s’accélère. Entre 1508 et 1518, date de la mort de Berthold Rembolt, le Soleil d’Or publie 106 éditions, soit environ une dizaine de titres par an contre trois à quatre titres dans la période précédente.
L’atelier se spécialise dans la publication d’ouvrages de droits romain et canonique tout en ajoutant des ouvrages de grammaire ou de philologie, des traités théologiques et des oeuvres patristiques. L’entreprise bénéficie de la collaboration de juristes et d’érudits et de figures importantes du premier humanismes parisien.
A la mort de son époux (1518 ou début 1519) Charlotte Guillard décide de se remarier.
Elle épouse en second noce en 1520, Claude Chevallon. Il exerce depuis 1506 dans une modeste boutique de la rue Saint-Jean-de-Latran, en face du collège de Cambrai, à l’enseigne de Saint-Christophe. Avec Charlotte Guillard, il épouse l’héritière de la plus ancienne imprimerie française, propriétaire d’importants matériels typographiques et ayant en plus l’expérience de la vie en atelier.
Claude Chevallon conduit ses affaires avec habileté. Il continue de publier les ouvrages religieux qu’il donnait déjà, depuis 1506, à l’enseigne du Saint-Christophe et poursuit l’oeuvre entreprise par Rembolt dans le domaine du droit savant. Il se diversifie aussi en publiant des livres de médecine et de littérature patristique. Il apporte aussi d’importantes inflexions en matière de typographie. Claude Chanvallon abandonne progressivement les caractères gothiques au profit de polices romaines et italiques. Le développement de ses affaires lui apporte une relative aisance financière et en font un des notables du Quartier Latin.
Charlotte Guillart participe activement à la gestion de l’entreprise. A la mort de son époux en 1537, elle peut prendre facilement en main les affaires. Entre 1537 et 1556, elle publie 181 éditions. Sous sa direction, le Soleil d’Or conserve la double spécialité éditoriale de ses précédents époux avec la publication d’ouvrages de droit savant (droit civil et droit canonique), et des sources chrétiennes (oeuvres des pères de l’Eglise et littérature biblique) et aussi des ouvrages scientifiques, principalement médicaux.
Le Soleil d’Or compte parmi les imprimeries les plus puissantes de Paris. Il assure une production d’un haut niveau intellectuel à laquelle collabore de nombreux érudits pour un public d’étudiants fréquentant les facultés supérieures de l’Université en théologie, droit et aussi médecine.
Veuve à deux reprises, Charlotte Guillart décède en 1557 sans descendance. Pour garantir la stabilité de son entreprise, elle va faire venir à Paris des membres de sa parentèle et les établir dans le monde du livre. Elle se constitue un réseau de libraires d’origine mancelle soudés par des alliances matrimoniales et économiques qui vont contribuer à la puissance du Soleil d’Or. Charlotte Guillard s’associe en 1547 avec Guillaume Desboys, époux de sa nièce Michelle Guillard.
L’atelier possède cinq ou six presses. Il faut compter pour chacune d’elles, au moins deux pressiers et deux compositeurs. Il doit donc y avoir plus d’une vingtaine d’ouvriers dans l’atelier d’impression, auxquels s’ajoutent un ou plusieurs correcteurs et des représentants en province ou à l’étranger pour négocier ventes et achats. Plus un personnel de gestion, administration des stocks, accueil des clients, réception des achats, emballages des ouvrages que l’on doit nourrir et loger ce qui implique des serviteurs dévolus à cette tâche. Charlotte Guillard a donc près d’une quarantaine d’employés.
Dans les préfaces des ouvrages publiés au Soleil d’Or se dessinent le portrait d’une maîtresse femme, qui dirige son atelier, choisit ses textes, identifie les auteurs, il s’agit d’une mise en scène par des textes à vocation publicitaire mais rien n’indique que Charlotte Guillard soit en mesure de contrôler la qualité des textes qu’elle publie mais elle n’ignore pas les enjeux intellectuels de ses publications et administre elle-même son entreprise sachant s’entourer de correcteurs réputés.
Selon certains historiens, le Soleil d’Or serait resté tout au long du XVIe siècle « l’atelier de la Sorbonne » soumis à l’autorité des théologiens de la faculté de Paris. Berthold Rembolt, le premier mari de Charlotte Guillard assume totalement sa soumission à l’égard des théologiens de l’Université. Claude Chevallon entretient aussi des relations privilégiées avec la faculté de théologie. La part de l’édition religieuse dans le catalogue du Soleil d’Or est considérable. Charlotte Guillard va toutefois abandonner presque entièrement cette production. Néanmoins le Soleil d’Or reste attaché à la défense du catholicisme tout en restant ouvert à des sensibilités religieuses variées et nuancées. Des théologiens réputés, Louis Lasseré, Jean de Gagny, Jean Benoît et le père Chartreux Godefroy Tilman participèrent à la politique éditoriale du Soleil d’Or.
A la littérature religieuse dont il s’est fait une spécialité, le catalogue du Soleil d’Or ajoute aussi des éditions juridiques ou médicales. Autour de deux protes Jacques Bogard et Louis Miré gravite un réseau d’hellénistes liés au milieu des lecteurs royaux et un certain nombre de juristes partageant une même sensibilité intellectuelle, nourrie par une réelle curiosité pour les antiquités et par des sympathies évangélistes. Ces protes assurent les échanges entre les milieux intellectuels et l’atelier typographique et deviennent des personnages-clefs de la politique éditoriale du Soleil d’Or. Pour eux, ce qui importe c’est moins l’attitude à adopter face à la Réforme que le souhait profond de restituer le plus grand nombre de sources anciennes tant pour les matières juridiques, théologiques ou médicales. Quant à Charlotte Guillard, il semble que ses convictions religieuses évoluent dans un espace médian ni ouvertement réformé ni totalement catholique.
Après avoir concurrencé les Bâlois, le Soleil d’Or va se trouver confronté au milieu des années 1540 à la concurrence vénitienne de Giovanni della Speranza. Sa production s’adresse autant aux érudits humanistes qu’aux lecteurs moins savants. Les sermons et traités en langue vernaculaire sont nombreux. La concurrence règne aussi au Quartier latin mais le Soleil d’Or sait faire preuve de réactivité en produisant rapidement des éditions présentant des textes inédits déjouant les plans de ses concurrents.
La production du Soleil d’Or participe aussi aux évolutions graphiques du temps. La première romanisation de la typographie parisienne (autour des années 1520) et le perfectionnement du dessin italien (au cours des deux décennies suivantes) sont progressivement adoptés par l’atelier où il est probable que Claude Garamont y travaille pendant une courte période.
A son décès en 1557, Charlotte Guillard laisse un atelier puissant.
Guillaume Desboys et Sébastien Nivelle poursuivent son entreprise qui aboutit à la création, en 1582, de la compagnie dite de « La Grand-Navire » qui sera l’une des structures les plus puissantes de l’édition européenne au début du XVIIe siècle.
Bien entendu, une page de blog ne peut pas présenter dans sa globalité la richesse de cet ouvrage, alors si j’ai laissé dans l’ombre certains passages, je reprends la table des matières, vous découvrirez ainsi l’intégralité des sujets abordés : Partie I. Gens du livre. Chapitre 1. De Charles VIII à Henri II : Une femme en son siècle. Ad Fontes : Origines familiales de Charlotte Guillard. Le » Pays de Mayne » : La Laire et Bois-Gaudin. Un milieu : Le commerce et la robe. Dynamique familiale : Les robins. L’ascension par le livre ? Premier mariage (1507-1519). Un cadre de vie : Paris, rue Saint-Jacques. Berthold Rembolt. Le Soleil d’Or. L’activité éditoriale. Secondes noces (1520-1537) : Claude Chevallon. L’héritage disputé de Berthold Rembolt. Les inflexions de la politique éditoriale du Soleil d’Or. Un couple de bourgeois. Veuvage (1537-1557). La carrière personnelle de Charlotte Guillard. 1537-1538 : la prise en main du Soleil d’Or. Une politique éditoriale de haut niveau. Chapitre 2. Charlotte et les siens. Le clan Guillard : Affinités mancelles dans la librairie parisienne. Une famille dans les métiers du livre. Les Haultin. Les Desboys. Une gestion collective des affaires. L’atelier et ses satellites : Aperçu d’un système solaire. La tante généreuse. Le Soleil d’Or : entreprise familiale ? Chapitre 3. La direction éditoriale. Charlotte Guillard, patronne. La veuve laborieuse : Aspects du mythe. Une femme savante ? Des directeurs littéraires. Nouveaux métiers : Du correcteur au prote. 1538-1541 ; Jean Hucher et Jacques Bogard. 1544-1552 : Louis Miré. Les années 1550 : Guillaume Guillard ou Guillaume Desboys ?
Partie II. Sensibilités intellectuelles. Chapitre 4. Préréforme et conservatisme : Les théologiens. Le Soleil d’Or : » Atelier de la Sorbonne » ? Vue d’ensemble : Les spécificités de la production. Une spécialisation : Les sources chrétiennes. Gens de collèges, gens de couvents : Les théologiens du Soleil d’Or. Le collège de Navarre. Navarristes et Chartreux : Quatre figures. Louis Lasseré. Jean de Gagny. Jean Benoît. Ramifications chartreuses : Godefroy Tilman. Entre réforme et conservatisme : Une théologie fondamentaliste ? L’héritage préréformateur La Vie de Monseigneur Sainct Hierosme de Louis Lasseré. Un programme éditorial déterminé ? Un humanisme fondamentaliste face à l’intégrisme de Béda ? Chapitre 5. Les cercles humanistes : Médecins et juristes. Une énigme : L’édition des Apophthegmes (1539). Un texte atypique. Des réseaux courtisans ? Médecins et hellénistes : Le milieu des lecteurs royaux. Les réseaux de Jacques Bogard. Frédéric Morel et le Lexicon de Jacques Touzat. Autour de Morel : Mizauld et Périon. Guillaume Postel et Michel Lescuyer. Bibliophiles et antiquaires : Le cercle des juristes. Louis Miré, humaniste. Louis Miré et le cercle des Du Tillet. Une sensibilité commune ?
Partie III. Le catalogue du Soleil d’Or. Chapitre 6. Le droit savant. L’édition du droit savant au XVIe siècle. Le droit savant : Définition. Un corpus figé ? Des livres pour qui ? Le droit savant dans les bibliothèques ? Le Soleil d’or et l’édition juridique avant Charlotte Guillard. Gering, Rembolt et l’oeuvre de Jean Chappuis. Les années 1520 : Louis Blaubloom et la refonte du Corpus juris civilis. Les années 1530 : Gilles Perrin adapte Haloander. L’oeuvre juridique de Charlotte Guillard. Modernisation de la production. Le Décret de Gratien (1547). Le corpus juris Augustini (1548-1550) et l’editio Vintimilliana. Le Code théodosien (1550). Chapitre 7. L’oeuvre théologique. Conquête d’un marché : Claude Chevallon, éditeur patristique. L’invention du livre patristique : L’école bâloise. 1527-1529 Claude Chevallon successeur de Froben ? Erasme, collaborateur du Soleil d’Or. Valeur ajoutée et baisse des prix : Les armes de la guerre économique. La production de Charlotte Guillard. Une collection des « sources chrétiennes ». Trois pères latins : Pacien, Hilaire et Tertullien. Traduction des Pères grecs. Le corpus érasmien face à la censure. L’exégèse moderne. Charlotte Guillard face à la concurrence. Veille et réactivité éditoriale : nouvelle concurrence vénitienne. L’édition d’Ambroise en 1549-1550.
Partie IV. Produire et vendre. Chapitre 8. La fabrique du livre : matériels et mises en page. Les papiers. La crise papetière à Paris (1538-1540). La plaidoirie de maître Riant. Les papiers du Soleil d’Or. La Révolution typographique au Soleil d’Or. L’héritage de Chevallon : François Gryphe et Claude Garamont. Le renouveau : Robert Granjon et Pierre Haultin (1548). Un nouveau langage ornemental. Les lettres ornées. Chapitre 9. Le commerce des livres. Données chiffrées : La leçon des inventaires. Les tirages et les stocks. Les prix. Les rythmes de vente. Boutique, facteurs, filières : La diffusion du livre. Tenir boutique. Un commerce international. Une filière lyonnaise vers l’Espagne ? Affronter la concurrence. Les privilèges. Veille et réactivité éditoriale. Le recours aux tribunaux : Jean Varice et Yolande Bonhomme. Conclusion générale. Le patron et l’atelier : substituer le collectif à l’individuel. Humaniste ou » Sorbonnage » : dépasser la dichotomie. Reconsidérer l’apport de l’atelier.
De précieuses annexes apportent un éclairage complémentaire : Trois testaments : Charlotte Guillard, Louis Lasseré, Louis Miré; Inventaire sommaire des documents d’archives relatifs à Charlotte Guillard et à son entourage; Bibliographie de Charlotte Guillard avec un index; et une précieuse partie sur les sources et bibliographies autour de Charlotte Guillard, de ses contemporains et de son époque.
Alors même si la période des cadeaux s’achève, offrez ou offrez-vous cet ouvrage comme un beau présent à l’aube de cette année nouvelle que Paris-Libris vous souhaite excellente.
Rémi Jimenes. Préface de Roger Chertier. Charlotte Guillard. Une femme imprimeur à la Renaissance. Presses Universitaires de Rennes. Presses Universitaires François-Rabelais. 34 euros.
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excellente présentation, passionnante, bravo
Excellent summary of a volume on an important woman printer. Thank you!