Depuis longtemps, j’envisage de faire des verticales sur les différentes éditions d’un livre illustré. Il fallait que plusieurs conditions soient remplies : l’attrait d’un titre, une publication sur plusieurs années permettant d’avoir une large diversité d’illustrateurs et aussi bien sûr quelques exemplaires disponibles. Aujourd’hui, une partie des conditions sont rassemblées pour un titre rendu aussi célèbre par un opéra, Scènes de la vie de Bohème d’Henry Murger.
Alors évoquons son auteur, Henry Murger (1822-1861). Il débute son activité professionnelle comme saute-ruisseau chez un avoué après avoir achevé ses études élémentaires. Sa culture populaire et sa formation d’autodidacte seront ses seuls passeports dans le mondes des lettres. En 1838, il devient secrétaire du comte Tolstoi qui n’était pas l’écrivain mais plus vraisemblablement un agent secret du tsar. Il publie ses premiers vers dès 1840 dans des petits journaux. Sa rencontre en 1842 avec Champfleury l’oriente vers la presse et le théâtre pour préparer leur carrière littéraire. Sa vie de bohème allait constituer la trame de ses futures oeuvres. Pendant sa jeunesse, il fréquente un groupe d’artistes désargentés du Quartier latin et devient célèbre avec Les scènes de la vie de bohème, d’abord publié sous forme de feuilleton puis portées à la scène avant de devenir un ouvrage maintes fois réédités. Dans ce texte, il met en scène ses amis sous des pseudonymes qui les cachent à peine. Ce succès éclipsa le reste de son oeuvre même si cette dernière était particulièrement appréciée à son époque, son livre les Scènes de la vie de jeunesse, a lui aussi été maintes fois réédité.
En 1896, Giacomo Puccini tire des scènes de la vie de Bohême, son Opéra qui deviendra de nos jours plus célèbre que l’ouvrage qu’il a inspiré.
Les scènes de la vie de bohème sont d’abord publiées en feuilletons au « Corsaire-Satan » ensuite devenu « Corsaires » de 1845 à 1849. Henri Murger les adapte au théâtre sous le titre La Vie de bohème, la pièce est jouée aux Variétés en 1849 (première représentation le 22 novembre), elle rencontre un tel succès qu’elle passe au théâtre de l’Odéon avant d’être admise au répertoire du Français et fait accéder l’auteur à une incroyable notoriété.
Le recueil parait en volume en 1851 (Lévy) avec l’ajout d’une préface, d’un chapitre liminaire et de deux scènes d’épilogue. Le succès est immédiat et l’ouvrage va faire l’objet de nombreuses rééditions et cela jusqu’à une période récente.
Dans le Paris des années 1840, au quartier Latin, quelques artistes marginaux, modestement logés dans les mansardes du quartier, poursuivis par leurs créanciers et rêvant de gloire, mènent une vie volage et se retrouvent au café Momus. Par ces scènes inspirées de son quotidien de bohème désargenté, Murger évoque la difficile condition de l’artiste qui progressivement perd ses illusions. Cet ouvrage d’inspiration romantique mais à l’écriture résolument réaliste nous offre un panorama de la bohème parisienne qui allait devenir légendaire.
Les pratiques culturelles se démocratisent sous la monarchie de Juillet. Les écrivains doivent trouver de nouveaux moyens de subsistance et ils se tournent vers la presse et le théâtre et deviennent des acteurs de la « littérature industrielle ».
Murger dépeint cet univers dont les acteurs sont ses amis et dont il dissimule à peine les identités tout en les faisant évoluer dans des lieux familiers.
Henry Murger devient le poète Rodolphe, Alexandre Schanne devient le musicien Schaunard, François Tabar devient le peintre Marcel, Joseph Desbrosses devient le sculpteur Jacques, Charles Barbara devient le journaliste Carolus Barbemuche et Jean Wallon devient le philosophe Gustave Colline.
Ce petit groupe fréquente les mêmes lieux que l’auteur : Le Café Momus, 17, rue des Prêtres Saint-Germain-l’Auxerrois, Le Prado, bal public sur l’île de la Cité, Rodolphe loge rue de la Tour-d’Auvergne comme Murger à l’époque de l’écriture de son feuilleton, Colline habite l’Ile Saint-Louis, Marcel travaille dans son atelier sur le quai aux Fleurs, Musette déménage de la rue de la Harpe pour la rue de la Bruyère quand elle devient lorette…
Alors commençons l’exploration de la verticale annoncée. Il y a quelques manques mais la série reflète la diversité des talents des illustrateurs qui ornèrent le texte, la richesse des éditions successives et aussi le travail de grands relieurs. Par ordre de parution de la plus ancienne à la plus récente, nous vous présenterons diverses éditions sur près d’un siècle. Cette présentation s’étalera sur trois jours successifs à compter d’aujourd’hui.
Une édition populaire sous forme de feuilleton, tel que sans doute paru le titre et rassemblé par La librairie Illustrée vers 1877 avec les illustrations d’André Gill.
André Gill (pseudonyme de Louis Alexandre Gosset de Guines) (1840-1885), caricaturiste, artiste peintre et chansonnier français. Il publie ses premiers dessins en 1859 dans le Journal amusant puis le Hanneton. Ses dessins paraissent aussi dans les journaux satiriquesbcomme Le Charivari, La Lune ou l’Eclipse…Sous la Commune, il participe à la Fédération des artistes de Courbet et administre le musée du Luxembourg. Caricaturiste, il croque les célébrités de son temps, Gambetta, Hugo, Wagner, Dumas, Bizet, Dickens, Jules Verne, Thiers… Chansonnier à Montmartre, il se produit au Cabaret des Assassins qui deviendra le Lapin Agile. (Le lapin à Gill).
Puis une édition de luxe comme savait les réaliser la Société des amis des livres parue en 1879 avec des gravures à l’eau-forte d’Adolphe Bichard magnifiquement habillée d’une reliure de Marius-Michel. Le texte de cette édition est publiée sur l’édition originale de 1851.
Adolphe Bichard (1841-1914) artiste peintre et graveur. Elève de Léon Gaucherel qui le forme à la gravure, il se spécialise dans la reproduction d’oeuvre de grands-maîtres. Remarqué par Uzanne à partir des années 1880, il collabore à des éditions illustrées d’auteurs romantiques ou contemporains
Marius-Michel (1846-1925), relieur-doreur d’art. Elève des Arts décoratifs et des Beaux-Arts tout en travaillant dans l’atelier de son père qui est doreur. Il créé en 1876 avec celui-ci, un atelier rue du Four. Il propose une nouvelle approche de la reliure résolument contemporaine. En 1878 à l’Exposition Universelle, il présente une série de reliures aux décors de motifs floraux incrustés qui feront sa réputation. Il obtient un Grand Prix à l’Exposition Universelle de 1900. C’est Georges Cretté qui prendra sa succession.
Et une autre édition de luxe chez A.Romagnol parue en 1902 avec des illustrations de Charles Léandre, gravées par Eugène Décisy avec une belle reliure de René Kieffer.
Le texte de cette édition a été établie d’après le texte définitif corrigé par l’auteur pour la réimpression faite en 1852. Elle comprend le chapitre XVII : La toilette des Grâces, qui ne se trouvait pas dans l’édition originale de 1851. L’éditeur donne aussi en appendice le chapitre XXI : Son Excellence Gustave Colline, paru dans l’édition primitive et supprimé depuis.
Charles Léandre (1862-1934). Illustrateur, lithographe, caricaturiste, dessinateur, sculpteur et peintre. Elève dans l’atelier d’Emile Bin, il effectue ses premières caricatures. Il s’inscrit en 1880 à l’Ecole des beaux-arts de Paris. En 1882, il est reçu au concours du professorat de dessin dans les écoles de la ville de Paris, il y enseignera jusqu’en 1897. Il est admis au Salon des artistes français à partir de 1882 qui le récompense par une mention honorable en 1888 et une deuxième médaille en 1891. Il obtient une médaille de bronze à l’Exposition universelle de 1889. En 1900, il fait partie des cinq artistes lithographes sélectionnés pour réaliser deux compositions sur un thème imposé dans le cadre des estampes décoratives des palais centennaux. Il obtient une médaille d’or. Caricaturiste de journaux illustrés (Le Chat noir, Le Figaro, Le rire…), il saisit avec talent les travers de ses contemporains. C’est aussi un portraitiste talentueux, élégant et raffiné dont la finesse s’exprime aussi dans l’illustration de livres.
Eugène Decisy (1866-1936), peintre et graveur. Elève d’Emile Boilvin, William Bouguereau et Tony Robert-Fleury. Membre de la Société des artistes français. Il est élu en 1898 membre de la Société nationale des beaux-arts. Il grave les illustrations de nombreux ouvrages en tirage de luxe.
René-Albert Kieffer (1876-1963). Formé à l’Ecole Estienne, il commence sa carrière de relieur sous la direction de Marius-Michel avant de diriger son propre atelier à partir de 1901. Il réalise des reliures dessinées par Pierre Legrain pour le couturier Jacques Doucet. Ses reliures art-déco restent particulièrement prisées. Il devient éditeur en 1909. Il édite des auteurs classiques dans des éditions de luxe et de demi-luxe auxquelles il fournit des cartonnages ou des reliures d’art. Nous avons déjà présenté une de ses réalisations d’éditeur avec Trois Eglises de Joris-Karl Huysmans.
Pour terminer une autre édition de luxe parue chez Carteret en 1913 avec les belles aquarelles de Robaudi et une reliure signée.
Alcide Théophile Robaudi (1850-1928). Il est élève à l’Ecole des beaux-arts de Paris dans l’atelier de Jean-Léon Gérôme en 1865. Il débute au Salon en 1874. Il recevra une mention honorable en 1884. Plus que par sa peinture (scène de genre, portraitiste et paysagiste), il est remarqué comme illustrateur d’écrivains célèbres dans des éditions de luxe chez Conquet, Hachette, Calmann-Lévy, Lemerre, Ferroud.
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MURGER (Henry). Scènes de la vie de Bohème. Paris, Librairie illustrée, sd (1877). Un volume in-4 (28,5 cm x 19,5 cm), 551 pp.
69 illustrations par Gill. Le texte est placé dans des encadrements gravés sur bois par Grasset.
Rassemblement des 69 livraisons parues.
1/2 maroquin rouge à coins, dos à nerfs ornés. Tête dorée. Reliure de l’époque. Quelques très légers frottements.
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MURGER (Henry). Scènes de la Bohème. Publié sur l’édition originale (Paris, 1851). Paris, Imprimé pour les Amis des livres, avec l’agrément de M.Calmann Lévy par D.Jouaust, 1879. Un volume in-8 (22,5 cm x 14 cm), 440 pp.
Un frontispice et douze gravures à l’eau-forte par Adolphe Bichard. Eaux fortes en 2 états avant la lettre sur Japon et avec la lettre sur vergé.
Un des cent exemplaires numérotés pour les souscripteurs. sur un tirage global de cent dix-huit exemplaires.
Plein maroquin havane. Plats ornés d’un quadruple filet doré en encadrement et d’un motif ouvragé. Dos à cinq nerfs orné, caissons encadrés d’un triple filets dorés, dentelle dorée intérieure, tranches dorées. Dos légèrement passé, légers frottements aux nerfs. Reliure signée Marius Michel.
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MURGER (Henri). Scènes de la vie de Bohème. Paris, A.Romagnol, 1902. Un volume in-4 (27,5 cm x 19,5 cm), 415 pp.
Compositions (40) de Charles Léandre gravées par Eugène Decisy.
Un des 200 exemplaires numérotés sur papier vélin de cuve d’Arche comprenant l’état terminé avec lettre de toutes les illustrations et la décomposition des couleurs d’une planche. Avec son bulletin de souscription.
Jointe, une carte manuscrite illustrée d’un dessin de Decisy.
Plein maroquin bleu mosaïqué de motifs floraux aux angles, roulette dorée sur les chasses, tête dorée, couverture conservée. Reliure signée René Kieffer. Dans son étui. Légère mouillure sur les six premiers feuillets. Légères décharges sur quelques gravures.
Bel exemplaire de ce prestigieux tirage dans une magnifique reliure.
Si vous êtes intéressé par cet ouvrage, merci de nous écrire à : contact@paris-libris.com.
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MURGER (Henry). Scènes de la vie de Bohême. Paris, L.Carteret, 1913. Un volume grand in-8 (26 cm x 19 cm) XIV-417 pp.
Quarante-six aquarelles de Robaudi gravées en couleurs. Une sur la couverture, une vignette de titre et quarante-quatre in-texte.
Un des cent exemplaires numérotés de ce tirage unique.
1/2 maroquin à coins. Dos à cinq nerfs, caissons décorés. Reliure signée Pouillet. Couvertures conservées.
Vendu.
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