Le Moulin Rouge célèbre cabaret parisien situé sur le boulevard de Clichy est fondé en 1889 par Joseph Oller et Charles Zidler.
A La Belle Epoque, avec ses moulins, Montmartre garde une ambiance de village bucolique. Les fondateurs du célèbre cabaret veulent attirer une riche clientèle souhaitant s’encanailler dans un quartier devenu à la mode. Avec une vaste salle permettant des changements rapides de décor où tous les publics se mélangeaient, venaient danser et découvrir les nouvelles attractions dont le French Cancan, le succès est au rendez-vous. Le Moulin Rouge devient le repère des artistes dont le plus célèbre fut sans doute Toulouse-Lautrec qui par ses affiches et ses tableaux assure rapidement une notoriété internationale à l’endroit. Ce lieu surmonté d’un Moulin peint en rouge et illuminé la nuit était visible depuis les grands boulevards et le bas de la rue Blanche. Les spectacles extravagants se donnent au Moulin Rouge et la Goulue mène le quadrille. En 1900, l’Exposition universelle attire de nombreux étrangers qui fréquentent l’endroit et feront de Paris la capitale du plaisir. A partir de 1903 et jusqu’à la Première guerre mondiale, le Moulin Rouge se transforme en temple de l’Opérette et de la revue. Mistinguett y fait sa première apparition en 1907. Un incendie détruit le Moulin Rouge en 1915 qui ne sera reconstruit qu’à partir de 1921.
C’est ce nouveau Moulin Rouge que l’on retrouve sous la plume d’Henry-Jacques, celui des années folles.
Henry-Jacques (Henri Edmond Jacques, 1886-1973), journaliste, écrivain, musicologue, il débute sa vie professionnelle dans le journaliste. A partir de 1909, il travaille à Paris au Journal puis à l’Ere nouvelle. Il participe à la Première Guerre mondiale, il tirera des horreurs des combats, deux recueils poétiques : La Symphonie Héroïque et Puis ils moururent.
Après la guerre, il fonde et dirige les revues La Joie musicale et Disque. Marin et grand voyageur, il fait plusieurs fois le tour du monde et en tirera des récits de voyage.
L’atmosphère du Moulin Rouge se dévoile au long des pages et nous entraîne dans le tourbillon de la fête.
» Une tache rouge sur la place Blanche. A force de tourner, le moulin s’est enlevé dans l’espace. Ses ailes, aujourd’hui, battent à travers le monde, et son temple, solidement accroché au pavé parisien, accueille tous ceux que le nom fatidique a touchés, au passage, sur les cinq continents, sur les sept mers…
La salle vous happe. Deux mouvements contraires gravitent autour de la piste, noyau essentiel, centre nerveux. Les lampes de couleur et les projecteurs avides nettoient votre rétine. Il faut que l’oeil neuf s’accroche à la piste. Première vision : un fox-trot cuit doucement à la musique des cuivres, arrosé de jus bleus et rouges. Les couples ont disparu, hommes et femmes fondus, tous ensemble, dans la même extase qu’agite le feu secret de la danse. Fluide et dorée, la poussière flotte au-dessus d’eux. Fumée. les verrières ont créé leur propre ciel de nuit allumé de constellations anonymes.
Au fond, entre deux moulins aux ailes qui tournent à contre-temps, l’orchestre classique. Il est attaché à la tradition et ne marche qu’à la baguette. Rythmes carrés, souvenirs d’Offenbach, cornets à pistons. Quand il succède au jazz, on dirait qu’il s’assied dessus pour mieux l’écraser, mais l’autre rebondit avec les blues et les tangos…
C’est autour de la piste que le Moulin Rouge donne sa meilleure farine. Au bar, au promenoir, dans les galeries, le long des tables, la faune s’agite, passe, trafique, regarde, combine, aime, travaille et se repose. Faune d’aujourd’hui. Car si le Moulin se perpétue sous le signe de Toulouse-Lautrec, seul l’orchestre le beugle à la face des danseurs et des curieux. Il a gardé la gueule de l’époque, vulgaire et bon enfant. Mais la vraie fille du temps, la Vénus grasse d’hier est morte, avec ses fesses, sa gorge à double cascade, ses cheveux lourds, ses robes mystère. Vive la fille de 1925 qui n’a ni fesses ni tétons, les cheveux courts, la nuque rasée au couteau, la robe légère et le corps garçonnier; c’est elle qu’on rencontre à mille exemplaires dans ces lieux de saltation. Une ligne droite et du mouvement. L’homme a perdu sa raideur noire, le zinc du chapeau et de l’habit. L’époque l’a passé au laminoir. A la fois anonyme et sportif, son masque appartient aussi bien au poisse qu’au bourgeois. Questions de détail ou de nuance qui se fondent dans la poussière générale…
Mais la semaine, le Moulin se retrouve. Les mêmes coins abritent les mêmes gens. Sous les colonnes rouges, les solives peintes, dans ce décor de palais barbare, roulent les mêmes types, danseurs et danseuses liés ventre à ventre dans la communion du rythme, mecs et graine de mecs, combinards, vendeurs de neige ou de tuyaux, marchands de viande ou de plaisirs, artistes, flaneurs, michetons, lames de fond que n’absorbe pas la grande houle humaine des étrangers curieux. A cet élément mâle s’enlace l’élément femelle, putains, demi-filles, bourgeoises, lesbiennes , et brasseuses d’affaires. Tout se mêle, se fond et se confondent dans le lent tourbillon qui, de la piste, gagne les pourtours et les promenoirs. Les yeux, les mains, les corps usent, chacun, de leurs signes familiers pour se reconnaître ou se comprendre. Mais, sauf celles de l’amour, les affaires sérieuses se traitent presque toujours dans les bars, autour de la place Blanche, ou au tabac, juste à la porte, havre pratique.
Le vieil orchestre s’assied lourdement, sous un coup de cymbale. Mais le silence n’a pas le temps de sortir. Le jazz, à son tour, s’est élancé sur la piste, un peu grêle d’abord, secoué comme les grelots d’une diligence. Puis, porté par les danseurs, il s’exalte soudain, casse les rythmes, retourne les mesures s’enroule autour du saxophone qui monte et descend comme dans la gorge d’un pigeon, bouche la trompette, écorche les cordes, remue le piano, à la mayonnaise, désarticule la batterie pour la recombiner comme une boisson américaine, poivres et citrons, alcools rouges et crèmes bleues, mélange détonant de klaxon, de tambour, de carillon, de baguettes et de glockenspiel qu’arrose, goutte à goutte, le banjo aux notes acides, cocktail bizarre et délicieux qu’avalent les oreilles et dont le cerveau se soûle…
Un fox-trot a quelque chose d’enfantin. il court, saute, épouse les hanches humaines dont il anime les cadences, avance et recule, tourne sur lui-même, chien étonné par sa queue. Il est gai, naïf, bien portant. le blues arrive, lui, les hanches cassées, mélancolique comme un clair de lune sur la plantation…Le nègre du saxo, pris d’une tristesse affreuse, se console en fumant sa grosse pipe de cuivre, mais l’invisible fumée qu’il en tire fait pleurer les violons qu’elle asphyxie, et, par contagion, le jazz répand sur la foule des larmes cristallines coupées de gémissements…
Le quadrille arrive heureusement pour débarbouiller tout. La tradition du Moulin suspend, quelques minutes, la marche de l’horloge moderne, et passe sa tête entre la samba et le tango. Minute aiguë pour les vétéran…. »
Les quarante lithographies de Van Houten avec leur saisissant réalisme influencé par Toulouse-Lautrec, nous plonge dans l’atmosphère particulière du lieu. Georges Van Houten (1888-1964), Après avoir étudié la peinture en Belgique, il arrive à Paris en 1905. En 1910, il est membre de la Société des Artistes Indépendants et expose à leur salon. Il a sa première exposition personnelle à la Galerie Eugène Blot en 1913. Théodore Duret le remarque et lui commande son portrait. Il passe la Première guerre mondiale dans l’armée belge et à son retour, il expose au salon d’Automne en 1919. Il expose la même année à la galerie Sauvage. Il expose régulièrement au Salon des Indépendant jusqu’en 1932. Par la suite, il hérite d’une importante fortune, arrête d’exposer ses toiles et de les vendre.
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HENRY-JACQUES. Moulin Rouge. Paris, Editions Marcel Seheur, 1925. Un volume in-4 (29,5 cm x 24,5 cm), 29 pp (Texte français) et 29 pp (Traduction anglaise).
40 Lithographies en noir ou en couleurs de Van Houten sous serpentes légendées. L’orchestre, Les pochettes surprises, Criqui, Le régisseur, Des familiers, Jazz-Band, Des gens convenables, Fox-trot, Le quadrille, Nana la cascadeuse ou la vétérante, Le grand écart, La combine, Confidence, Business, Danseuse, Blanc et noir, La tentation du poète, Le roi des camelots, Idylle, La garçonne, Monsieur et Madame, La patronne, Clients sérieux, Ernest et ses amis, Le bar, Le loup et les agneaux, Nine velours, Au travail, Jim et les quadrilleuses, Les deux amies, L’apéritif, Hésitation, Quadrilleuses, La môme haricot, Places réservées, Un tuyau, La valse, Monsieur Henry, L’étoile du quadrille, Possession,
Un des cinq cents exemplaires numérotés sur vélin d’Arches.
Broché sous couverture rempliée. Décharges pages de couverture. Sous étui cartonné gaufré rouge.
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