Commandé par l’édilité parisienne, illustré par les plus célèbres graveurs du temps et rédigé par deux moines mauristes, Dom Michel Félibien et dom Alexis Lobineau, l’ouvrage Histoire de Paris est un monument bibliophilique. La qualité de la recherche historique, les fines illustrations et généralement les belles reliures font de ce livre de commande une référence nécessaire à toute bibliothèque parisienne.
Au XVIIIe siècle la ville de Paris attire tous les regards et fait la fierté de ses habitants. Jérôme Bignon qui fut prévôt des marchands de 1708 à 1716, souhaite disposer d’un ouvrage présentant la longue histoire de la capitale, rédigé par des érudits avertis et illustré par les plus fins graveurs. Ce livre avec ses cinq volumes in-folio va se retrouver dans les plus grandes bibliothèques du temps et sera aussi offert comme un peu plus tard le plan dit de Turgot, aux visiteurs de marque.
Ce livre est devenu un ouvrage de référence fruit d’une minutieuse recherche parmi de multiples documents dont certains disparurent à la Révolution.
Pour présenter Histoire de Paris nous ferons paraître trois pages de blog successives. La première consacrée aux personnalités ayant concouru à la réalisation de l’ouvrage, la seconde (parution 29 juin 2018) consacrée aux deux premiers volumes de la série et contenant toutes les planches gravées et la troisième (parution 2 juillet 2018) consacrée au trois volumes suivants contenant les sources utilisées par les auteurs pour rédiger leur Histoire de la Ville de Paris.
Un travail de bénédictin…
Les ecclésiastiques s’étaient déjà par le passé intéressés à l’histoire parisienne. Dom Jacques du Breul de l’Abbaye de Saint Germain des Prés peut être considéré comme un des premiers historiens de la capitale. En participant à la dernière édition des Antiquitez et choses plus remarquables de Paris puis en faisant paraître son propre travail sous le titre, Le Théâtre des Antiquitez de Paris, il avait entrepris les premières recherches historiques sur le sujet ouvrant la voie à ses lointains successeurs Dom Michel Félibien et Dom Alexis Lobineau tous deux appartenant à la Congrégation de Saint Maur.
A la fin du XVIe les monastères bénédictins de France étaient tombés dans la désorganisation et le laxisme. En août 1618, le roi Louis XIII signe les lettres patentes autorisant la fondation d’une nouvelle congrégation bénédictine placée sous le patronage de saint Maur, premier disciple de saint Benoît. La plupart des monastères bénédictins de France, à l’exception de ceux qui appartenaient à l’ordre de Cluny, rejoignirent peu à peu la nouvelle congrégation, qui atteindra son apogée dans les années 1690-1700 avec 190 monastères répartis en 6 provinces. La maison mère était à Saint-Germain-des-Prés, à Paris, c’était la résidence du Supérieur général et le centre de l’activité littéraire de la congrégation. Au départ l’idée principale n’était pas d’entreprendre des travaux littéraires et historiques mais de revenir à un régime monastique strict et à l’accomplissement fidèle de la vie bénédictine; et tout au long de la période la plus glorieuse de l’histoire des mauristes on n’autorisa pas le travail d’érudition à gêner l’exécution obligatoire de l’office du choeur et les autres devoirs de la vie monastique. Vers la fin du XVIIIe siècle une tendance s’insinua quelquefois à desserrer l’observance monastique en faveur de l’étude, mais les constitutions de 1770 montrent qu’un régime monastique strict fut maintenu jusqu’au bout. Leur école historique et critique a produit un certain nombre d’ouvrages d’érudition dont la valeur est permanente. Les fondements de cette école ont été posés par Dom Tarisse, le premier supérieur général, qui en 1632 a donné pour instructions aux supérieurs des monastères d’entraîner les jeunes moines à des habitudes de recherche et de travail organisé.
Le nécrologe déposé à la Bibliothèque nationale renferme une notice plus ou moins longue, selon les cas, des moines décédés à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, depuis que la réforme de Saint-Maur y fut introduite jusqu’à la Révolution. Nous y trouvons les éléments bibliographiques relatifs à Dom Michel Félibien, Nécrologe des religieux de la congrégation de Saint-Maur décédés à l’Abbaye de Saint-Germain-des-Prés
» Le lundi vingt-cinq septembre sur les trois heures du matin, est mort dans l’infirmerie de ce monastère, Dom Michel Félibien, prêtre, religieux profès de notre Congrégation, âgé de cinquante quatre ans. Il était natif de Chartres et avait fait profession dans l’abbaye de Lyre en Normandie, à l’âge de dix-huit ans. Il étudia en ce monastère, en philosophie, et en théologie, dans celui de Saint Denis. Après sa recollection, faite à Saint Vincent de Laon, nos supérieurs l’envoyèrent demeurer à Saint-Denis où il a travaillé pendant plusieurs années à l’histoire de cette abbaye, qu’il a fait imprimer en 1706 (Histoire de l’abbaye royale de Saint-Denys en France) et dont le public a été satisfait, tant pour la composition de l’ouvrage que pour le style. Quelques-uns cependant ne l’ont pas trouvé assez rempli. Monsieur le prévôt des marchands et Messieurs les échevins de Paris ayant jeté les yeux sur Dom Michel Félibien, pour travailler à l’histoire de Paris, vinrent trouver le R.P.Général pour le prier de lui permettre de venir demeurer en ce monastère pour s’occuper à cette étude, ce qui lui fut accordé. Il y a donc travaillé jusqu’à sa mort, et l’a poussée jusqu’en 1660 environ. Il a imprimé pendant ce temps-là, la vie de Madame d’Humières, abbesse de Mouchy, proche de Compiègne, de l’ordre de Citeaux. Il a a laissé la vie de saint Anselme, archevêque de Cantorbery, prête à imprimer. Pendant toue sa vie, il a eu peu de santé, particulièrement les dernières années qu’il a passées d’une manière très languissante et toujours à l’infirmerie. Il est mort d’hydropisie, après avoir reçu les derniers Sacrements avec piété. C’était un homme d’un esprit facile, poli, honnête et qui avait top d’attache pour l’administration des revenus d’un prieuré encore en litige, que son frère, le doyen de la cathédrale de Bourges, lui avait résigné en mourant; il prétendait en avoir besoin, tant pour l’entretien d’un sien neveu, que son frère le doyen lui avait recommandé, que pour fournir aux frais nécessaires pour la recomposition de son histoire de paris. il a pu avoir d’autres vues que nous laissons au jugement de Dieu et que nous n’osons pas condamner. Sa conduite n’était cependant pas approuvée sur ce sujet, et il en a eu du chagrin; mais à la fin il a donné procuration aux officiers de ce monastère, pour gérer les biens de ce prieuré, et il l’a résigné deux mois avant sa mort. il a été enterré au milieu du grand cloître, du côté de l’église, vers le septième pilier… »
Dom Félibien ne put achever l’ouvrage commandé, seul le prospectus, Projet d’une nouvelle Histoire de la ville de Paris, fut publié du vivant de l’auteur en 1713 et reçut l’approbation de Louis XIV. La mort du moine bénédictin, en 1719, laissa l’Histoire inachevée. Durant les huit dernières années de son existence, il écrivit l’histoire de Paris, de ses origines jusqu’en 1661 et collecta une somme considérable de sources. Tous ces écrits et documents furent ensuite confiés, par ses supérieurs à Guy-Alexis Lobineau qui après les avoir complétées (prolongement de l’histoire jusqu’en 1721), revus et mis en forme, paracheva l’oeuvre de Félibien. Il a fait des ajouts importants et notamment publié un très grand nombre de pièces justificatives, il a aussi joint à l’ouvrage un glossaire du latin médiéval (au début du troisième volume) et un autre d’ancien français.
Dom Guy Alexis Lobineau (1667-1727), historien, moine bénédictin de la congrégation de Saint Maur. Il fit profession dans l’abbaye de Saint-Melaine de Rennes le 15 décembre 1683. En 1693, il est choisi par Dom Audren de Kerdrel, abbé de Saint-Vincent du Mans pour remplacer Mathurin Veyssière de La Croze dans l’équipe qu’il avait réunie depuis 1687 pour composer une nouvelle Histoire de Bretagne, financée par les Etats de Bretagne. Après la mort prématurée de Dom Le Gallois en 1695, Dom Lobineau devint le principal responsable de l’ouvrage, assisté de Dom Briant. L’ouvrage parut en 1707 (deux volumes in-folio, un de texte, racontant l’histoire de la Bretagne de 458 jusqu’à l’union à la France en 1532, un autre de preuves, en tout dans les deux mille pages). Il publia plus tard un ouvrage intitulé Histoire, ou vies des saints de Bretagne, que l’Eglise honore d’un culte public, et des personnes d’une éminente piété qui ont vécu dans la même province, avec une addition à l’histoire de Bretagne (Rennes, 1723, et en in-folio 1724).
Commandé par l’édilité parisienne…
Le prévôt des marchands assisté de 4 échevins s’occupait de l’approvisionnement de la ville, des travaux publics, de l’assiette des impôts et avait la juridiction sur le commerce fluvial. Il était élu pour 2 ans et son rôle se rapprochait de celui d’un maire de Paris. Cette institution disparaît à la Révolution.
Jérôme Bignon (1658-1725) conseiller au Parlement puis maître des requêtes, intendant de la généralité d’Amiens, est nommé prévôt des marchands de Paris en 1708 et le reste jusqu’en 1716. Il est élu membre de l’Académie des inscriptions et belles lettres. D’une famille de juriste mais aussi de bibliothécaires du roi comme le furent son père et son neveu, c’est lui qui commande en 1711, aux supérieurs de Dom Félibien, cette histoire monumentale de Paris. Désireux de doter sa ville d’une véritable histoire officielle, il fait appel à ce bénédictin qui avait publié en 1706 une histoire de l’abbaye de Saint Denis dont les contemporains s’accordaient à reconnaître la grande qualité et que nous aurons l’occasion de présenter ultérieurement.
Par la suite Michel Etienne Turgot, prévôt des marchands de 1729 à 1740 (celui du célèbre plan qui porte son nom) pensa qu’il fallait assurer à la capitale les moyens de continuer l’oeuvre de ces deux historiens et de faire passer à la postérité les fastes dont l’Hôtel de Ville possède les preuves dans son sein. Il fit alors créer la charge d’historiographe de la ville. Dans le même temps, il faisait rassembler au greffe de l’Hôtel de Ville une collection de livres de quelques deux cents volumes consacrés à l’histoire de France et plus spécialement à celle de Paris qui devaient former un commencement de bibliothèque dont la lointaine descendante après quelques vicissitudes, est la BHVP.
Illustré par les plus grands artistes du temps…
Il n’est pas surprenant que cet ouvrage commandé par l’édilité parisienne soit illustré par les graveurs les plus célèbres du temps. Avec ces planches nous avons une sorte de who’s who artistique de l’époque. Les magistrats parisiens évoluaient dans le milieu de la Haute bourgeoisie et avaient des alliances avec la Noblesse. Ils connaissaient les artistes du temps qui eux aussi comprenaient tout l’intérêt d’illustrer cet ouvrage de prestige, source probable de commandes ultérieures. Ainsi sur les planches illustrant l’Histoire de Paris nous trouvons les noms de : François Aveline (1670-1713), Charles-Nicolas Cochin (1688-1754), il se fait remarquer par ses reproductions des grands maîtres, l’académie royale de peinture et de sculpture l’agrée le 26 février 1729, il devient académicien en 1731. Il collabore avec de nombreux graveurs à l’illustration d’ouvrages notamment l’Histoire et description de l’Hôtel des Invalides (1736) de Jean-Joseph Granet; Antoine Coquart, dessinateur et graveur topographique; Jean Chaufourier (1679-1757), peintre, graveur et paysagiste. Il collabore avec Le Notre et dessina les plans des jardins de Versailles; Claude-Guy Hallé (1652-1736) peintre et graveur couronné plusieurs fois par l’Académie royale de peinture, il fut chargé de travaux dans les résidences royales de Meudon et de Trianon; Antoine Hérissey (1685-1769), graveur; Claude Lucas, graveur de l’académie des sciences grava à l’eau-forte et au burin les 21 planches du plan dit de Turgot; Charles Simonneau (1645-1728) dessinateur et graveur. Il commence son apprentissage dans l’atelier de Noël Coypel. Il est reçu à l’Académie le 28 juin 1710; il est nommé, peu après , graveur ordinaire du Cabinet du roi.
Les planches de cet ouvrage présente dans les deux premiers volumes sont les suivantes : Planches des Antiquitez celtiques trouvées à N.D.de Paris en 17711, Le plan de Paris, Façade du portail de Nostre Dame, Plan de l’église N.D de Paris, Façade du portail de l’église de St.Gervais, La fontaine des Innocens, Costé de la rue aux Fers et Costé de la rue St Denis, Façade de l’Hôtel de ville, Façade du Palais des Tuilleries du côté de la cour, Façade du Palais des Tuilleries du côté du jardin, Veue d’une partie de la Ville de Paris depuis le Carrefour St.Germain de l’Auxerrois jusqu’à l’Hôtel de Conty, Façade de la Gallerie du Louvre du costé de la Rivière, Vue perspective de La place royale, Vue perspective du Palais d’Orléans ou Le Luxembourg, Veuë de la Ville de Paris du côté de l’isle Nôtre Dame, façade du Louvre du côté de la cour, Vüe perspective du Palais Royal, Façade du portail de l’Eglise de la Sorbonne du côté de la place, Façade du portail de l’Eglise de la Sorbonne du côté de la cour, Plan au rez de chaussée de l’Eglise de la Sorbonne, Vue perspective de la Façade de l’Abbaye Royale du Val-de-Grace, Vue perspective du Collège des Quatre Nations, Plan au rez de chaussée du Louvre, Façade du Louvre du côté de St Germain de l’Auxerrois, Façade de la Porte St.Bernard, Costé de la Ville, Costé du Fauxbourg, Façade de la porte Saint Antoine, Costé du fauxbourg, Costé de la Ville, Façade de la porte St.Denis du Costé de la Ville, Façade du Chateau d’Eau-Plan au rez de chaussée du Château d’Eau, Façade de la porte St.Martin du costé de la ville, Vue extérieure en perspective de l’Eglise Royale des Invalides, Veüe d’une partie de la Ville de Paris depuis les Quatre Nations jusqu’au Pont Royal, Vue perspective de la place des Victoires, Vue perspective de la Place de Louis le Grand.
Avec cet ouvrage, nous poursuivons nos présentations croisées avec le blog d’Histoires-de-Paris.
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