Un lieu, le château des brouillards et l’atmosphère de la bohème montmartroise du début du 20ème siècle, un écrivain, Roland Dorgelès rendu célèbre pour un de ses premiers ouvrages, les Croix de bois, un peintre Maurice Savin qui a posé son pinceau sur les pages, une relieuse devenue océanographe, Anita Conti…Cet ouvrage offre de multiples sujets pour raconter son histoire. Un collectionneur, Georges Foussier (1890-1979), acquiert un exemplaire sur Hollande du roman de Dorgelès et décide de le faire illustrer par Maurice Savin (1894-1973) puis confie l’ouvrage aux mains expertes de la relieuse Anita Conti (1899-1997) pour réaliser un exemplaire unique.
Roland Dorgelès.
Le roman, Le château des brouillards, paraît chez Albin Michel en 1932. Il est l’œuvre d’un Montmartrois de cœur mais non de naissance qui, avant la première guerre mondiale fréquente la bohème du lieu. Roland Lécavelé naît en 1885 à Amiens. Il devient journaliste en 1904 et adopte le nom de Dorgelès en 1907. Il écrit pour Messidor en 1908, pour Paris-Journal entre 1908 et 1912, pour Comoedia de 1908 à 1914, pour Fantasio en 1910. Il collabore aussi à L’Homme libre, le journal que dirige Clémenceau et s’essaie au théâtre. Il se mêle à la bohème de Montmartre. Ses amis se nomment Mac Orlan, Carco, Max Jacob, André Salmon, Apollinaire, Picasso, Juan Gris. Il organise la supercherie de Boronali, le soit-disant peintre « futuriste » qui est en réalité l’âne du Lapin Agile, Aliboron.
Il s’engage comme volontaire en août 1914. En 1915, il rejoint l’aviation et deviendra instructeur. En 1917, il entre au Canard enchaîné, où il se lie d’amitié avec Henri Béraud et Paul Vaillant-Couturier. Les Croix de bois, poignant témoignage sur la guerre des tranchées, obtiennent 4 voix au prix Goncourt de 1919 contre 6 pour Proust et à l’Ombre des jeunes filles en fleurs. En 1929, il est élu à l’académie Goncourt dont il deviendra le président en 1954 jusqu’à sa mort en 1973. Après les livres de guerre, Dorgelès passe à des récits et des romans qui ont pour thème la vie libre et joyeuse de la bohème montmartroise. Il voyage fin 1932 en Indochine puis en 1932 en Afrique du nord et en 1936 en Russie. En octobre 1939, il est correspondant de guerre pour le journal Gringoire. Sa collaboration avec le journal cessera en septembre 1941. Il racontera son expérience dans Retour au front (1940), Carte d’identité (1945) et Bleu Horizon (1949).
Le château des brouillards.
Construit sur l’emplacement du moulin des brouillards à Montmartre, le château du même nom est édifié à la fin du XVIIIe siècle par un avocat au Parlement de Paris sur un vaste terrain de 7000 mètres carrés. En 1850, les communs du château furent rasés pour faire place peu après à de petits pavillons de bois fort ordinaires, séparés les uns des autres par de simples haies. Les lieux furent alors envahis par une population marginale qui profitant de leur état d’abandon s’y installa sans autorisation. Peu à peu se forma ce qu’on a appelé le Maquis assemblage de constructions légères et provisoires en bois et torchis habitées par toutes sortes de truands et de population chassée du centre de Paris par l’urbanisme et liés entre eux par la misère. La zone située entre la rue Girardin et la rue Caulincourt devint lieu de prédilection de vagabonds, de peintres misérables et même de faux-monnayeurs.
Vers 1880, le château des brouillards était totalement à l’abandon. Le Maquis n’était plus qu’un terrain inculte d’où pointaient quelques cabanes et des monceaux de détritus. Dans ce no man’s land vivait une population hautement colorée, d’où émergeaient trois types sociaux : les artistes, les marginaux et les truands. Pour les artistes, citons quelques noms : Stenlein, Poulbot, Léon Bloy, Henri Laurens, Duchamp-Villon, Van Dongen, Modigliani et bien sûr Picasso.
La destruction du maquis commença en 1902, avec le percement de l’Avenue Junot. Le château des brouillards fut alors plusieurs fois menacé par la pioche. A moitié abandonné, le domaine livré aux mauvais garçons et artistes sans le sou était proche de la ruine. L’historien notaire Victor Perrot l’achète en 1922 et le remet en état. Il divise en deux le domaine, il revend la propriété qui donne sur l’allée des Brouillards et garde l’autre pour lui. Les restes château des brouillards sont toujours visibles au 13, rue Girardon dans le 18e arrondissement.
Le roman.
Dans le roman de Dorgelès, l’ombre de la Première mondiale plane entre les pages et cela commence dès la dédicace de l’ouvrage : Aux camarades de mes vingt ans qui le 2 août 1914 ont quitté la Butte en chantant et ne sont jamais revenus, je dédie ce livre.
Marqué par les épreuves de la première guerre à laquelle il participa, Dorgelès n’oubliera jamais cette période de sa vie et ses camarades morts au combat. Leur souvenir sera souvent présent dans ses écrits. Dans le château des brouillards, son héros Paul-Gérard Clair sera tué pendant la guerre. Auparavant, il avait vécu la vie insouciante des montmartrois au début du 20e siècle.
Dans ce roman, du lapin Agile au château des brouillards en passant par la rue d’Orchampt, les tribulations des personnages nous font pénétrer dans le maquis de Montmartre en compagnie d’artistes et d’anars de tout poil. Parmi ce petit peuple de marginaux et de laissés pour compte se rencontrent le poète Paul-Gérard Clair qui sera tué dans les combats de la Grande guerre et la relieuse anarchiste Lucie Fouché, dite Rapine, ils se trouvent impliqués dans une affaire d’anarchistes faux-monnayeurs…
I.Au son de la guitare, II. Découverte de Montmartre (Montmartre d’en haut, pas celui des boîtes de nuit et ses personnages), III. Paul-Gérard Clair chez ses voisines, IV. Couleur de Printemps, V. 13, rue Girardon, VI. Dis-moi qui tu hantes, VII. Gérard trouve sa voie, VIII. Entrée dans le monde, IX. Le visiteur de nuit, X. Une bonne nouvelle, XI. Où l’amour porte ses fruits, XII. Un trésor sur le toît, XIII. M.de Granpré se rend utile, XIV. La police s’en mêle, XV. En danger de mort, XVI. La dernière nuit, XVII. Où l’auteur évoque des ombres.
Nous nous sommes attardés sur l’auteur du roman et les lieux montmartrois qui l’ont inspiré mais notre ouvrage appartient aussi au champ de la bibliophilie. Il a son histoire que nous devons au collectionneur passionné qu’était Georges Foussier (1890-1979) dont l’ex-libris est présent dans l’ouvrage et qui a conservé quelques documents relatifs au livre, son auteur et son illustrateur. Outre un long envoi, notre livre contient notamment une photo en noir et blanc de Roland Dorgelès (présente dans le texte du blog) et une carte de visite manuscrite signée « Ma femme vous remercie de votre adorable envoi, monsieur et je vous prie de croire cher camarade, à mes pensées cordiales »
Quelques années plus tard Georges Foussier s’intéressait toujours au livre de Dorgelès et à son illustrateur puisque nous trouvons dans l’ouvrage, une invitation au diner du 18 mars 1952 « Evocation du Château des Brouillards » dont nous retranscrivons le début « Les Amis de Montmartre donneront le mardi 18 mars prochain, chez Graff, 92, boulevard de Clichy, leur diner d’avant printemps. On se mettra à table à 20 heures exactement. Notre ami Paul Yaki, président du vieux Montmartre, évoquera à ce dîner le « Château des Brouillards » cher à notre ami Roland Dorgelès. Le compositeur Marius Casadesus présidera cette soirée. Il sera assisté de Claude Renoir. Tous deux habitent depuis toujours l’allée des Brouillards. Nos Présidents d’Honneur Francis Carco et Edmond Heuzé seront présents. Nos camarades Geneviève Rex, Leduc, Maillard, Valiès et la mime Bella Reine, assureront la partie récréative…. «
Dans notre prochaine parution, nous poursuivrons la présentation de cet ouvrage en nous attardant sur l’illustration que Maurice Savin a spécialement réalisée pour cet ouvrage.
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