Jean Nocher nous propose une découverte du royaume parisien de la cloche au début des années 40. Avec de courts textes, il campe le décor de cet univers particulier et pittoresque dont nous restituons les brefs portraits qu’illustrent les dessins de Roland Coudon.
Jean Nocher (Gaston Charon 1908-1967), ancien élève de Normale Sup, il devient journaliste de presse en 1934. Pendant la 2e guerre mondiale, il participe à la Résistance. Arrêté en 1942, puis libéré fin 1943, il reprend la lutte dans le Forez. A la Libération, il commence sa carrière à la radio publique. Il est député de la Loire sous l’étiquette RPF de 1951 à 1955. Jusqu’à sa mort, il tient des chroniques dans l’audiovisuel public.
Roland Coudon (1897-1954) a aussi signé de nombreuses affiches pour la CGT avant de produire des affiches de cinéma.
» Quai des Orfèvres, ce vieux clodo a son appartement réservé, à deux pas de la Tour pointue…une bien belle alcôve…
Le Philosophe prend le frais au Bois, en taillant le bricheton. Son plaisir, c’est de jouir de la verdure qu’est à tout le monde, et d’aller boire à la cascade.
Le colonel, dit l’Ecrivain-car il sait lire en trois langues-était de l’armée Wrangel. C’est un raffiné, qui n’a pas voulu finir chauffeur de taxi. Alors il est devenu biffin. Ce qu’il regrette le plus de l’ancien régime, c’est la vodka.
Le ménage peinard ne fait pas de projets d’avenir. Il a le coup de rouge assuré jusqu’à ce soir chez Guignard. Que d’autres s’occupent des salades, s’ils ont les loisirs !
Derrière Notre-Dame, où jadis étaient les truands, les piqueurs couleur muraille attendent l’heure de la soupe. Ils se tireront comme un seul homme aux halles quand sonnera la cloche.
Le gambergeur a la tête lourde de discuter tout seul. Celui-ci est un incompris : même la Cloche a ses bohèmes.
Demi-Muid va fourguer le trop-plein. Car il a aussi, son petit commerce aux puces.
Le chifforton n’a pas son dû-qu’il dit- et se casse…Finie l’entente cordiale. L’autre le traite de sale carafe.
Un pilon : Autrefois il a perdu (selon la rumeur) ses petites rentes au zanzi. Avec son air sécot, il n’inspire pas confiance : -Prêtez-moi vous dit-il, dix mille francs pour me relever. Et comme, en général, vous ne marchez pas : – Alors donnez-moi une thune.
Elle a tenu tout le jour. Maintenant l’ombre reprend la terre…Sa planque est faite pour la nuit.
Piqueurs au travail…la cloche vient de sonner : c’est la curée. Il faut faire fissa, avant que les flics ne rabattent.
Un club clodo-ils se sont donné rancart à la Maub.-Les cinq amis feront équipe ensemble, pour la croûte d’une journée.
Voici le Morfalou-oeil mauvais, dent dure et fort-à-bras: c’est le vautour de la Cloche. Il vit sur ses potes en jouant des coudes, et fait le vide partout. Son espace vital va de la Mie de pain au boulevard de la Gare.
Contraste : Célestin Jaspinasse, lui, travaille dans la persuasion. S’il y avait des élections, il serait député de la Maub ou Sénateur du Pont Marie…Son leit-motiv : On est mal dirigé, depuis Panama et Stavisky. C’est pourquoi il fait bloc avec le zinc.
Confidence : Je suis la comtesse Marguerite de Bessoubs de Cahors… » Et c’est rapport à ce paltoquet de Gambetta que je suis redescendue au prolétariat. »
L’écoeurée tient sa consolante, et parle dans le vide, puisque le mâle dort : elle n’a jamais pu lui pardonner de l’avoir faite cocue, il y a de ça vingt-sept ans…
Le farniente : En voilà qui aiment mieux faire la couleuvre, laissant cavaler ceux qui sont de la courtille. Eux, ils se défendent avec les mariniers. Leur sauveur, c’est le chaland qui passe…
La solitaire n’a plus que deux compagnons : son chien et son bâton. Si vous la réveillez, elle vous dira qu’elle était belle quand Edouard VII eut pour elle des politesses. Pour y croire encore, elle rêve tout haut.
Le doux Anar n’aime que les oiseaux : il leur a donné les dernières miettes de son pain. Dans un autre monde, il aurait peut-être été sous-préfet-aux champs, comme de juste…
Le frotteur dit son compliment à la mignonne qui passe..Est-ce une idylle qui s’ébauche , L’amour, c’est leur théâtre, à eux… »
Et pour mieux comprendre ce « milieu », l’auteur nous livre aussi la traduction de quelques mots usuels « cloche » : Les piqueurs-Ceux qui font les poubelles avec leur crochet; La cloche-Fermeture de la vente aux Halles; Etre de la courtille-Etre fauché, raide; Salade-Boniments; Clodo-Gueux; Le gambergeur-Celui qui pense dur; Faure fissa-faire vite; Avoir son blot-Avoir sa part; Fourguer-Céder au recéleur; Se casser-S’en aller; Le frotteur-Celui qui frotte, par extension : l’amoureux; Bricheton-Pain; Un pilon-Un tapeur; Sécot-maigre; Le chifforton-Le chiffonnier; Le morfalou-Le gangster; Consolante-Cigarette; Gourbi-Dortoir.
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NOCHER (Jean). Clochards (Sous les ponts de Paris). Genève, Editions du Rhône, 1944. Un volume in-4 (33 cm x 25 cm).
24 dessins de Roland Coudon.
Un des 370 exemplaires sur ivoire fin blanc.
En feuilles sous couverture illustrée et portefeuille. Portefeuille légèrement piqué. Parfait état intérieur.
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