Aujourd’hui nous quittons Paris pour une destination lointaine tant dans l’espace que dans le temps.
La Chine des années cinquante encore pétrit d’influence impériale et progressivement façonnée par le pouvoir de Mao. Nous sommes avant le Grand Bond en avant et la Révolution culturelle de sinistre mémoire . Autant dire un temps lointain ! Cartier-Bresson courait le monde son Leica à la main et figeait sur la pellicule une société qui disparaissait et une autre qui naissait.
Ce livre est le journal d’un voyage. De décembre 1948 à septembre 1949, Henri Cartier-Bresson séjourne quelques mois en Chine à la fin du gouvernement du Kuomintang et au début du nouveau régime communiste. Il quitte Pékin, douze jours avant la prise de la ville par les armées de Mao Tse-tung, pour Shangaï Il part à la rencontre de l’Armée populaire sans toutefois parvenir à franchir ses lignes. Il retourne à Shangaï où il apprend que le front se rapproche du Yang-tse. Il se rend à Nankin où il assiste au départ des fidèles de Tchang-Kaï-chek avant l’arrivée des Armées populaires. Là, il peut photographier sans entrave. Puis il repart à Shangaï où désormais les troupes populaires avaient établi leur pouvoir.
Henri Cartier-Bresson photographie un pays en plein bouleversement à un moment où l’Histoire bascule entre un ancien monde et un autre à construire. Le Céleste Empire reste présent dans la vie quotidienne même si le cours des événements annonce les changements futurs. Les derniers jours du Kuomintang provoque un sauve-qui peut général. Les troupes de l’armée populaire pénètrent dans Nankin et Shangaï. Le nouveau régime fête sa victoire puis les étrangers quittent la Chine.
Le photographe capte tous les mouvements de ces événements et donne à voir une vie quotidienne qui semble pacifiée. La réalité sera différente quand d’autres témoignages s’exprimeront sur le quotidien d’un régime impitoyable. Ce temps viendra, quand la victoire acquise qui semble si paisible dans les rues de Shangaï, deviendra un terrible souvenir pour ceux qui subiront au quotidien, la férule d’un pouvoir dont il ne pouvait deviner l’absolutisme.
En 1954 (date de parution de l’ouvrage), la Chine est loin, elle intéresse peu, elle est souvent comme le souligne Jean-Paul Sartre dans sa préface victime d’un « pittoresque » lié à la méconnaissance de sa culture. Il souligne la force du travail du photographe : » Les photos de Cartier-Bresson ne bavardent jamais. Elles ne sont pas des idées : elles nous en donnent. Sans le faire exprès. Ses Chinois déconcertent : la plupart d’entre eux n’ont jamais l’air assez chinois. Homme d’esprit, le touriste se demande comment ils font pour se reconnaître entre eux. Moi, après avoir feuilleté l’album, je me demande plutôt comment nous ferions pour les confondre, pour les ranger tous sous une même rubrique. L’idée chinoise s’éloigne et pâlit : ce n’est plus qu’une appellation commode; Restent des hommes qui se ressemblent en tant qu’hommes; Des présences vivantes et charnelles qui n’ont pas encore reçu leurs appellations contrôlées. Il faut savoir gré à Cartier-Bresson de son nominalisme ».
Il est vrai que nous tournons les pages de ce livre bel album d’images comme les contemporains occidentaux voyaient cette réalité qui fut exacte un fugace instant avant de basculer dans la répression. Une réalité vue aussi au travers du prisme des convictions politiques. A cette époque, Sartre était compagnon de route du Parti Communiste, la Chine n’avait pas encore rompu avec l’Union Soviétique et Cartier-Bresson avait été très engagé aux côtés des communistes d’avant-guerre notamment pendant la guerre d’Espagne.
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CARTIER-BRESSON (Henri). SARTRE (Jean-Paul). D’une Chine à l’autre. Paris, Robert Delpire, 1954. Un volume in-4 (27,5 cm x 22 cm) non paginé. 9-(Préface Jean-Paul Sartre), 1-Présentation de l’ouvrage (Henri Cartier-Bresson), 144 photos en noir et blanc d’Henri Cartier-Bresson, 3- (Quelques notions sommaires sur l’histoire chinoise et 1 carte de la Chine).
Reliure toilée de l’éditeur sous jaquette illustrée d’une photo. Un léger défaut de pelliculage sur le premier plat, une légère usure à une coiffe, une fente sans manque à un coin.
Exemplaire en bon état.
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