Carnet de route d’un combattant de la Première guerre mondiale. IV.

La bataille de la Somme qui s’est déroulée de juillet à novembre 1916 vit s’opposer les Britanniques et les Français face aux troupes allemandes. Ce fut une des batailles les plus meurtrières du conflit. Les gains de territoire restèrent très modestes malgré une avancée d’environ 12 kilomètres, le front ne fut pas percé. Robert Gruaz  participa à cet engagement.

1er juillet : A 2 1/2 du matin nous quittons Bagonvilliers pour aller nous masser dans un bois entre Proyart et Morcourt. Ce sont les coloniaux qui doivent attaquer les premiers. ..Nous ne savons rien de ce qui se passe en avant. A 3h commence à défiler les premiers prisonniers allemands. Dompierre, Herbécourt, Becquincourt seraient pris. 2 juillet : Les pertes des Coloniaux ont été nulles pour prendre les 1eres lignes…Toujours le même acharnement dans notre bombardement. Les Allemands qui sont en ligne sont des troupes retirées de Verdun il y a 6 jours pour venir au repos dans ce secteur. Les prisonniers que l’on voit passer sont loin d’être des gaillards comme ceux de Champagne. Le temps est terriblement chaud et l’on cuit son jus. 3 juillet : Nous remplaçons les Coloniaux en 1ere ligne. Une énorme marmite tombe en plein milieu d’une section , on se précipite pas un blessé !! « Got mit uns » a changé de camp !!. Dans les lignes les cadavres commencent à dégager une odeur épouvantable.

Carte de la région où nous avons attaqué en juillet 1916.

Une saucisse française prend le départ. Somme 1916.

4 juillet : C’est aujourd’hui que nous attaquons Belloy en Santerre. Nous n’avons rien à manger depuis hier matin, pas même d’eau et par cette chaleur on crève de soif. A 4h notre artillerie augmente la violence de son tir et à 5h30 l’ordre d’attaquer est donné à notre régiment. Notre 2eme Bataillon sort en tête suivi bientôt par le 3eme. Dès le commencement la résistance est presque nulle mais au bout de 1 kil.nos camarades se trouvent en face de nombreuses mitrailleuses et les rangs s’éclaircissent à vue d’oeil. Néanmoins nous progressons et occupons les maisons en lisière de Belloy. Après un corps à corps terrible nous emportons la moitié du village et une partie du bois situé au Sud Est. Malheureusement nos pertes ont été sévères et force est de nous fortifier sur place afin de souffler et d’attendre les renforts. A 8h du soir nous avons progressé de 1,5km et fait 1100 prisonniers dont 15 officiers. La nuit arrive. j’en profite pour tâcher en allant aux roulantes de ravitailler un peu l’équipe…..Un éclair une détonation sourde et nous nous retrouvons au fond d’un trou recouverts de terre….Rien de cassé, par contre le ravitaillement gît dans la terre et sauf la viande tout est perdu. Mais le pinard que nous avions dans des bidons n’a pas souffert et c’est le principal. Vers le matin les Allemands contre attaquent violemment et réussissent à nous prendre une mitrailleuse. Dans un élan magnifique la 3ème Compagnie charge et si elle ne peut reprendre la mitrailleuse perdue elle a la joie d’en barboter 4 aux Allemands. Néanmoins la situation est critique…L’ordre est donné au 7eme Colonial d’envoyer un bataillon de renfort. Malgré cet ordre, le Colonel Pasquier ne bouge pas. Au bout de deux heures sur nouvelle injonction formelle du Colonel Maillard commandant de la Brigade, le colonel Pasquier se décide à obéir mais avec tant de mauvaise grâce que le Colonel Maillard luit dit (au téléphone) qu’en ce moment il n’y a pas : ni de légionnaires, ni de marsouins, mais rien que des Français. charmante entente dans de pareilles circonstances. Nous nous en souviendrons…Vers 5h du soir le 35eme Corps réussit à reprendre Estrée et même à le dépasser quelque peu. Cette avance dégage notre aile droite et nous permet d’enlever entièrement Belloy. Le combat dans les rues a été atroce, on s’est battu à la grenade au couteau eu revolver malgré leur résistance acharnée après 2 heures de combat dans les rues et les caves, la Légion reste maîtresse du terrain 229 prisonniers dans cette chaude affaire. Nous avons trouvé un civil Français. Ce malheureux boulanger de son métier était obligé de faire du pain aux Allemands pour 0f50 par jour. lorsqu’il se refusait à travailler ils l’enfermaient dans un poulailler !!!

La sucrerie de Dompierre où nous sommes restés en réserve du 10 au 12 juillet 1916. Les 1ères lignes françaises avant l’attaque se trouvaient à une centaine de mètres devant.

Le canon de 400. Somme 1916.

6 juillet : Quelques hommes qui travaillent en avant de Belloy se trouvent à l’improviste entourés par une quarantaine d’Allemands. Impossible de lutter et ils se rendent. Les Allemands en les emmenant prisonniers se dirigent par erreur vers nous au lieu de vers leurs lignes. Le lieutenant Pasqualini qui commande une section à la sortie du village laisse approcher tout le monde jusqu’à 50 mètes. A un commandement bref  » Légionnaire couchez vous » Ces derniers se jettent à plat ventre et les mitrailleuses ont vite fait d’expédier ad patres la quarantaine de pointus qui ne s’attendaient pas c’est certain, à pareille réception….quelques éléments ennemis cernés dans un fortin construit dans Estrées et qui en veulent pas se rendre sont arrosés par nos pétroleurs. 62 Allemands sont obligés de faire  » Kamerad » dont 2 officiers. Je renonce à compter le nombre de fois que les lignes téléphoniques sont coupées; Malgré cela nous n’aurons à la fin de l’attaque que 10 minutes d’interruptions pendant toute la durée des opérations pourtant il y a des moment où cela n’était pas rigolo d’aller réparer les ficelles.

9 juillet : Quand donc sortiront nous de cet enfer ? Jamais je n’oublierais ces lieux de carnage du sang partout quoi une véritable boucherie, Oh civilisation !!! Nos 2 premières Compagnies (2 et 3) à peine sorties tombent sous le feu des mitrailleuses boches. la 2ème après l’attaque compte 37 hommes, la 3ème 45. Sans commentaire pour l’avance méthodique avancée par les journaux…Quand donc finira ce massacre ? Malgré la fatigue et la dépression morale, voilà 7 jours que nous sommes en ligne sous la mitraille, hommes et officiers ont marché comme des braves. 10 juillet : 2h du matin brusquement l’ordre de relève arrive. C’est le 7eme Tirailleurs qui nous remplace. c’est sans regret que nous quittons ces lieux maudits où malheureusement gisent tant de nos bons camarades. 14 juillet : Toujours à Bagonvillers. En vue de fêter cette journée menu soigné et copieux cigares champagne etc..mais la fête manque d’entrain trop de camardes manquent à l’appel.

Les légionnaires au repos sont de grands enfants !! Souvenir de St Martin aux Bois. Juillet 1916.

L’équipe téléphonique du 1er Bat. à St Martin aux Bois Juillet 1916.
Notre cantonnement à St Martin aux Bois. 17 au 28 Juillet 1916.

17 juillet : Nous cantonnons dans une grange et nous sommes très bien. Le poste téléphonique est installé chez l’instituteur. Dans l’après-midi nous montons la ligne de St Martin au Bois à Moutiers où se trouve notre Colonel. 18 juillet : On parle de retourner à nouveau aux tranchées dans une huitaine de jours et je commence à trouver que l’on abuse un peu de nous. Je suis inscrit à nouveau pour une citation. 21 juillet : De garde au téléphone. les officiers partent dès le matin reconnaître un nouveau secteur. Notre repos ne sera pas long. Dame nous sommes des engagés volontaires nous n’avions qu’à rester chez nous.

9 août : 1 1 h du matin nous apprenons par téléphone que les Autrichiens ont perdu Goritzia et 10000 prisonniers; Cette nouvelle sera communiqué tout à l’heure aux Kamerades par une pancartes qu’une patrouille ira porter. 14 août : Toujours à Mareuil. Le Général Codet quitte le commandement de la Division. Ce changement à tout l’air d’une disgrâce car il ne reçoit pas de commandement en échange. Il ne laisse que peu de regrets vu la triste opinion qu’il avait de la Légion qui d’ailleurs le lui rendait bien. Nous ne pourrons pas tomber plus mal comme homme et au moins nous aurons peut être la chance d’avoir un chef capable.

Le poste des Crapouillots au « Confluent » Secteur de Lassigny août 1916.
Le poste téléphonique. Août 1916.

Ce que l’on voit de l’observatoire P.V.D Secteur de Lassigny Août 1916.
Gury (derrière ce village, la batterie de mon ami Josse était en position. Août 1916.

20 août : Au rapport paraît qu’en plus de la prime de 50 F par prisonnier allemand il y aura 12 jours de permission pour un simple soldat pris et 24 jours pour un gradé. Ce ne sera pas tous les jours que le Colonel aura de ces permission là à signer. 23 août : Hier les tirailleurs ont réussi au cours d’une patrouille à ramener un prisonnier. les 6 hommes qui composait la patrouille ont chacun 12 jours de permission et partent ce matin. 24 août : Il y a un superbe lavoir installé dans la tranchée aussi j’en profite pour briquer mon linge. Le soir les Allemands bombardent notre coin avec du 105 pas de dégât. Sur 30 obus nous en comptons une dizaine qui n’éclatent pas. Kamelotte !!! 28 août : A 10h par téléphone arrive de bonnes nouvelles. la Roumanie a déclaré la guerre à l’Autriche et l’Italie en a fait de même à l’Allemagne. Cela va peut être avancer la fin de la guerre….Un de chez nous va lancer chez les Allemands, des imprimés pour leur annoncer la décision de la Roumanie.

Une barricade dans le village de Plessis de Roye.

Le poste de secours Secteur de Lassigny. Septembre 1916.

7 septembre : Notre artillerie n’arrête pas de la nuit malgré que les Allemands ne répondent pas. Enfin 5h du matin arrive et le tir s’arrête un peu nos tranchées de 1ere ligne sont complètement détruites celles des Allemands ne doivent pas être en meilleur état. 8 septembre : Voilà aujourd’hui 23 jours de tranchées vivement la relève. A la Carrière Madame à 9h du matin, on nous remet les décorations pour la Somme. La cérémonie est très simple mais elle a l’avantage d’être faite presque en 1ère ligne. 15 septembre : Rien. Il y a eu 1 an nous quittions Plancher les Mines pour aller à l’attaque de Champagne. 29 septembre : Nuit calme. Voilà 44 jours que je suis aux tranchées cela n’empêche pas Mr René Barjan d’écrire dans le Journal d’avant hier que la Légion n’allait jamais aux tranchées. Imbécile ou mal informé ? 30 septembre : Les Allemands nous bombardent assez énergiquement vers 5h pas de bobos. Mon beau-frère Pierre part pour Salonique pauvre vieux ce n’est pas de veine.

5 octobre : Nous serons relevés dans la nuit du 8 au 9, depuis 53 jours que nous sommes en ligne je crois que nous ne l’avons pas volé. 6 octobre : Ce matin le général Desgouttes notre nouveau général de Division visite le secteur…On nous avise qu’un individu habillé en sous lieutenant d’Artillerie a été vu en plusieurs endroits et qu’il a posé à différents hommes des questions bizarres. ordre est de l’arrêter à tout prix. Si ce n’est vraiment un espion il ne manque pas de culot. 7 octobre : …Dès que le groupe franc est sorti, il est accueilli par une vive fusillade qui nous blesse deux hommes. De plus le travail de l’Artillerie a été mal fait et force est de faire 1/2 tour les fils de fer n’étant pas coupés; Total pour ne rien faire nous avons 5 morts, les artilleurs 2 et en tout il y a une dizaine de blessés. Je ne compte pas le prix des munitions tirées. c’est du bon travail. 9 octobre : Une représentation par des artistes de la comédie Française et de l’Opéra est donnée ce soir à Rignebourg. Gentil succès qui nous fait oublier un peu notre trop long séjour au royaume des taupes. 11 octobre : Toujours à Mareuil j’attends mon prochain départ en permission aussi le temps me semble long et monotone. 13 octobre : Avec joie, j’apprends par une lettre de ma soeur que Pierre qui était embarqué su le « Gallia » torpillé en Méditerranée a eu la chance de ses sauver. il est maintenant à Bizerte où il se remet de ses émotions. Mon frère rejoint le 13ème Infanterie à Nevers, pauvre gosse enfin !!! 14 octobre : Aujourd’hui on nous repique contre la typhoïde et je suis malade comme un chien.  19 au 26 octobre : En permission à Paris.

4 novembre : Nous serons à Marisonalle une quinzaine de jours qui seront employés à des manoeuvres dans le camp de Crévecoeur. 18 novembre : Pendant la nuit la neige tombe assez longtemps. Nous embarquons dans les autobus à 8h…Nous arrivons à Wiencourt l’Equipée à 2h de l’après midi. Le camp 102 où nous devons nous installer se trouve à 1 kil de Viencourt…Nous sommes installés dans des baraques  » Adrian » assez confortable mais il y fait très froid. le camp n’est qu’un immense lac de boue où l’on enfonce jusqu’à la moitié du mollet. Nous devons monter en ligne dans 6 jours…Les tranchées sont paraît-il dans un état épouvantable et le séjour y est infernal.  Dans notre camp se trouve environ un millier de prisonnier allemands; Beaucoup sont habillés en kaki. Ils n’ont pas l’air de travailler beaucoup. 19 novembre : De toute la nuit, la pluie n’a pas cessé et le camp devient de plus en plus un vrai marécage. Les routes sont tellement défoncés que les voitures ne peuvent approcher du camp à lus d’un kilomètre, toutes les corvées et le ravitaillement se dont à dos d’homme. 25 novembre : Je vais à Cappy chercher du matériel, je retrouve ce village très abimé depuis notre séjour en 1914. Des prisonniers allemands travaillent sur le canal de frise à décharger des péniches de pierre. Un d’eux a le culot de nous demander du tabac inutile de dire que le Fritz a été bien reçu. 30 novembre : Repos. Demain nous serons relevé par notre 2eme Bataillon et redescendons au Camp 102. Peut-être y aura-t-il des autobus nous n’osons pas encore croire à tant de prévenance.

1er décembre : Nous quittons le Camp du télégraphe à 9h30 pour aller embarquer dans les Autobus à Eclusier. Pour ne pas en perdre l’habitude on attend près de 2h les autos et il ne fait pas précisément chaud. 7 décembre : Partis de Wiencourt à 7h30 du matin nous arrivons à Chaignolles à 11h. Nous en repartons à 7h du soir et après 5h de marche nous arrivons aux 1ères lignes….Les tranchées sont abominables et à moitié démolies pas d’abris suffisants ceux qu’il y a sont si peu surs que la plupart des hommes préfèrent passer la nuit à la belle étoile. Toute la nuit grande activité de notre artillerie et réponse énergique des Allemands. Le 7eme Tirailleurs que nous avons relevé a assez trinqué pendant son séjour….On n’a guère avancé par ici depuis Juillet 1915 et c’est presque l’emplacement que nous tenions après la prise de Belloy en Santerre qui se trouve à 800 mètres derrière nous. 9 décembre : La boue, la sinistre boue envahie tout. Les parapets minés par l’eau s’écroulent les uns après les autres. Des cagnas s’effondrent…Les Allemands bombardent de plus en plus et nos lignes sont coupées à chaque instant. Impossible de se reposer. Dans ce secteur, on est placé entre deux alternatives. Si on reste dans les boyaux on s’enlise petit à petit si on reste dans les cagnas on court le risque d’être enterrés vivants. Charmant !!! 11 décembre : La pluie redouble; Ce ne sont pas des parapluies qu’il nous faudrait mais des caleçons de bain. Les tranchées n’existent pour ainsi dire plus on a de la boue jusqu’à la ceinture c’est atroce !!…Nous sommes ereintés et dans un état moral déplorable. Nos officiers eux mêmes ne peuvent cacher leur découragement. Si la pluie ne s’arrête pas on sera forcé de nous retirer avec des cordes. 12 décembre : La neige et la pluie ne cessent pas de tomber. Que va-t-on devenir dans nos aquariums. Inutile de dire que l’attaque vu le terrain actuel est ajournée. 13 décembre : ….Le brave sous lieutenant Pierot qui a mis les voiles avant de monter aux tranchées vient paraît-il d’être arrêté à Amiens. je voudrais bien savoir ce que son équipée va lui coûter. ce serait un poilu son affaire serait vite réglée, pourquoi y aurait-il une différence…Il y a juste aujourd’hui 2 ans que nous sommes montés pour la 1ère fois aux tranchées de Frise. Que de souffrances que de bon amis disparus depuis ce temps là, et malheureusement on n’entrevoit pas la fin. 16 décembre : Nuit calme. Nous devons être relevés pour aller au grand repos ce ne serait pas volé car depuis le 21 décembre 1915 on roule. 24 décembre : Toujours à Wiencourt, il pleut comme par hasard. la 9ème Compagnie descendue hier des tranchées a perdu par les Gaz, 11 hommes, les Zouaves ont été plus mal chanceux et une trentaine sont restés sur le carreau. C’est paraît-il un nouveau gaz ayant le goût du chocolat lorsque on le respire et qui est traître parce qu’il est incolore. 25 décembre : Inutile de décrire le joyeux Réveillon !! A la Compagnie ils ont dû apprendre que c’était jour de fête car la cuisine excellente d’habitude est franchement mauvaise aujourd’hui. Le ciel continue à laisser ouvert en grand ses réservoirs. 21 décembre : Nous arrivons à Auchy la Montagne à midi. Etape de 20 kil. On nous a logé dans une grange où on ne mettrait pas des chevaux. Nous nous débrouillons et avisons une maison assez bien dont les fenêtres sont barricadées de planche. D’un coup de crosse nous faisons sauter la porte et à peine étions nous dans la baraque que le propriétaire arrive. Minute de froid, tout s’arrange quand même et sous la promesse que nous n’abîmerions rien le père Taconnet s’en va. Cela ne l’empêchera cette vieille crapule de réclamer le jour de notre départ 40 F pour du bois brulé par nous. Il en aura 15 et c’est encore de trop car nous n’avons pas brulé un seul morceau de son bois. Nous avons table, chaise et surtout nous pouvons faire du feu, nous ne serons pas malheureux ici.

Prochaine parution sur le carnet de route du Caporal Robert Gruaz, dimanche 25 mars.

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