Un de nos lecteurs assidus, nous présente aujourd’hui l’oeuvre de Joris-Karl Huysmans et l’un de ses ouvrages, Croquis parisiens, dont nous vous avions proposé il y a quelques mois, l’édition originale. Vous trouverez en fin de page, une notice sur l’édition augmentée de 1886.
Il est des odeurs suspectes, équivoques comme un appel dans une rue noire (le gousset). Le texte de Huysmans est de celles-ci.
Joris-Karl Huysmans à 32 ans, il n’est pas encore le décadent d’A rebours (1884), le mystique de l’Oblat (1903), le chroniqueur désenchanté de la Bièvre (1890) mais déjà le naturaliste de Marthe, histoire d’une fille (1876) et les sœurs Vatard (1879).
Vous trouverez deux éditions de « La Bièvre » celles de 1890 et de 1914 sur le site.
Il aime Baudelaire et Alyosius Bertrand, le premier poète à avoir proposé de petits poèmes en prose, Villon dont son premier recueil de poèmes (le drageoir aux épices) s’inspire et les symboliques qu’il défendra. Il s’acoquine avec Zola (il appartient au groupe de Médan) et promeut les impressionnistes. Descendant d’un peintre d’Anvers du 17ème siècle, Cornelis Huysmans dont une toile est exposée au Louvre, il deviendra un critique reconnu. On retrouve toutes ces tendances, ces modèles dans Croquis parisiens, présenté aujourd’hui, son deuxième recueil de poèmes en prose, écrit 4 ans avant son inévitable portrait de Des Esseintes (à Rebours).
Huysmans est avant tout un Parisien. Il est né à Paris en 1848, s’est éteint le 12 mai 1907 rue Saint-Placide (6ème) après avoir vécu la majeure partie de sa vie 11 rue de Sèvres (7ème) dans l’ancienne maison conventuelle du couvent désaffecté des Prémontrés de la Croix-Rouge. C’est dans cette maison dont les longs « couloirs à faire charger des escadrons de cavalerie » et où « Toutes les portes des cellules s’ouvrent sur ces allées » (de tout) qu’il connut ses premiers émois littéraires, qu’il rédigea le principal de son œuvre dont Croquis parisiens.
Pour s’exonérer des revenus littéraires, Huysmans a choisi d’être fonctionnaire, il travaillera la majeure partie de sa vie au Ministère de l’intérieur. D’où sa liberté de ton, ses pages sans concessions et reconnaissables entre toutes grâce à son style coloré, touffus, profond.
Quand on entre dans les livres de Huysmans, on entre dans une forêt vierge. Il est généreux en tout.
Il puise dans son inépuisable richesse intérieure et en tant que virtuose de la langue, il parvient à composer un riche recueil de petites proses fantasques qui associent lieux de fêtes, petits métiers de rue, paysages citadins, mysticisme déjà, décadence aussi… Il traite de tout, voit tout, dit tout. Sa prose sublime, luxuriante, ardente dépeint à merveille le Paris qu’il aime, un Paris souterrain ou lumineux dans lequel évolue des personnages haut-en-couleur, énergumènes laborieux mais attachants, doté d’un caractère parfois généreux mais souvent aux mœurs rustres… êtres magnifiques, pathétiques : Mais c’est au moment où la Parisienne est la plus charmante, au moment où, sous un soleil de plomb, par un de ces temps où l’orage menaçant suffoque, elle chemine, abritée sous l’ombrelle, suant ainsi qu’une gargoulette, l’œil meurtri par le chaud, le teint moite, la mine alanguie et vannée, que sa senteur s’échappe, rectifiée par le filtre des linges, tout à la fois délicieusement hardie et timidement fine… » (L’Ambulante)
Certaines de ses pages se lisent comme une déclinaison littéraire d’une palette impressionniste : Après les fluides légers, les glacis vaporeux, les senteurs caressantes et ensommeillées ; après les roses affaiblies et les bleus mourants, après les surjets de couleurs et les réveillons des tropiques, crièrent bêtement les rabâcheries vulgaires : lourdeurs des ocres, pesanteur des gros verts, épaisseur des bruns, tristesse des gris, bleuissement noir des ardoises (les similitudes)
Il aime la fête, il aime l’austérité, il aime le travail. Rien ne lui échappe… Il consigne tout. De la place où j’étais assis, sur une petite plateforme à laquelle accédaient deux marches, je dominais le bal. (Le bal de la brasserie européenne à Grenelle)
Et de cet œil aigu, nait un univers imprévu, subtil, foisonnant, une prose hardie, des propos intenses et délicats. L’humain grouille. On y retrouve des clowns, des acrobates, des filles faciles, des dames bien pensantes, des militaires, des bourgeoises, un conducteur d’omnibus, un marchand de marrons, des blanchisseuses… Il va fouiller les interstices et y découvre la pourriture ou la grandeur humaine. Quoi de plus humainement grandiose que l’abdication du geindre (l’équivalent d’un aide boulanger) qui travaille quand les autres s’amusent ou de pitoyable que le désenchantement des vieux garçons qui vont chercher le réconfort au café !
Buvons un rigolboche ! Buvons une rigolboche (c’est-à-dire amusons nous en buvant) installe-t-il sur le fronton d’un cabaret de la place Pinel (13ème) (l’Ambulante). Suivons-le. Scrutons avec lui les salles de spectacles, mêlons-nous à la foule qui danse et jacasse, perdons-nous avec ses individus contre leur gré dépravés qui n’ont d’autres issus que la déchéance. Saoulons-nous de mots tout en flânant le long de la Bièvre, au cabaret des Peupliers, rue de la Chine, ou encore sur les remparts du Nord-Paris.
Le Paris qu’il décrit ou qu’il peint n’existe plus et pourtant de beaux sentiments, de longs frissons parcourent le lecteur. Nous le voyons comme lui, nous le ressentions avec ses émotions. Il n’est ni trop près, ni trop loin, ni trop emphatique, ni trop dédaigneux ; il est comme ce couple d’équilibristes décrit dans les Folies-Bergère : la femme lancée à toute volée file sous la lumière des lustres, tombe, lâchant le trapèze, les pieds en avant, dans les bras de l’homme qui, au coup fracassant d’une cymbale…, la balance…, et la jette dans le filet où elle rebondit avec son maillot d’azur et d’argent comme un poisson qui roule et saute dans un épervier.
Il nous délivre sa prose avec élégance, faste et maitrise ; il nous enivre jusqu’à la dernière page !
Assemblage poétique et fécond, fantasque et foisonnant ; étape indispensable à l’œuvre décadente et mystique à venir…
A lire impérativement.
Olivier de Sesmaisons
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HUYSMANS (J.-K.). Croquis parisiens. Nouvelle édition augmentée d’un certain nombre de pièces et d’un portrait. Paris, Léon Vanier, 1886. Un volume in-8 (19,5 cm x 9,5 cm), 168 pp.
Un des 500 exemplaires sur papier des fabriques du Périgord.
Les pièces ajoutées par rapport à l’édition de 1880 sont : Le Bal de la Brasserie Européenne, Le Coiffeur, Damiens, L’Etiage, L’Obsession, Cauchemar, L’Ouverture de Tannhäuser.
Un envoi de l’auteur.
Broché sous couverture rempliée (quelques taches à la couverture), légère fente à la couverture sur 1 cm.
Pour acheter c’est ici.
Pour consulter nos bibliographies c’est là .
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Sur le site de Paris-Libris, vous trouverez aussi deux éditions postérieures de Croquis Pariens.
Croquis Parisiens. A Vau l’Eau. Un Dilemme. Stock 1905 .
Et une intéressante étude : Gustave Coquiot. Le vrai J.-K.Huysmans avec une préface de J.-K.Husmans. Bosse 1912. Exemplaire numéroté sur Hollande .
Nous disposons d’un certain nombre d’autres ouvrages de Huysmans et autour de sa vie et de son oeuvre que vous pouvez trouver ici .
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