Jeanne LAURICELLA et Gilles CORROZET, Les Antiquitez et choses plus remarquables de Paris, de 1608 à nos jours.

 

L’histoire commence par une très chaude journée de juillet au cœur de la Beauce à Chateaudun. La visite du château de Dunois était au programme.

Et puis par hasard, j’ai découvert la salle des ventes du lieu qui organisait une vente de livres. Dans un espace restreint, un public nombreux se tenait serré sur les chaises et les fauteuils d’une vente future. L’endroit avait un charme particulier, il y régnait une sorte de torpeur due à la chaleur et aussi à la modeste qualité des ouvrages présentés qui ne semblait pas susciter un intérêt soutenu. Je trouvais une place dans un canapé un peu défoncé et consultais la liste des ouvrages en vente. Un nom retenait mon attention, Corrozet. Malgré l’édition tardive et l’état médiocre de l’objet que je n’avais même pas feuilleté, je levais la main mais d’autres enchérisseurs devaient avoir les mêmes connaissances que moi. Quelques enchères plus loin, le marteau tombait en ma faveur. Je me dirigeais vers la table pour payer, demander mon bordereau et récupérer l’ouvrage mais la secrétaire ne pouvait tout faire en même temps, suivre la vente et noter les enchères. Drouot était loin et les pratiques différentes. J’allais devoir attendre un peu pour les formalités et repartais sous la chaleur écrasante poursuivre mon exploration des lieux dans l’attente de découvrir de façon approfondie le Corrozet que je venais d’acquérir par hasard.

Atelier J.Lauricella. Septembre 2017.

Effectivement, le livre avait connu quelques avanies. Dérelié, manques de cuir et autres défauts. D’une bibliothèque aristocratique, il avait pris d’autres chemins, peut-être un fossé à la Révolution comme les papiers de la Bastille. Il était peu présentable en l’état et allait rejoindre un fond de bibliothèque parisienne avec d’autres éclopés.

Quand je décidais de créer Paris-Libris, j’avais oublié le Corrozet beauceron. Un rangement général  lui permettait de retrouver la lumière. Soigneusement emballé dans un sac de tissu ses malheurs ne s’étaient

Atelier J.Lauricella. Septembre 2017.

pas aggravés. Il voisinait avec une autre édition plus ancienne qui elle avait connu une restauration malencontreuse qu’il fallait traiter. L’état nécessitait une intervention adaptée pour les rendre à leur splendeur d’origine.

Un ami qui avait consulté mes livres me livrait son avis, «  Tu as besoin d’un restaurateur qui techniquement soit irréprochable et qui en plus sait sentir le livre et je vais te donner un nom : Jeanne Lauricella, tu devrais consulter son blog : blog Jeanne Lauricella, je suis sûr qu’elle saura faire un travail magnifique, tu la connais ? Non j’ai vu une de ses superbes restaurations, tu devrais l’appeler »

Par une belle journée de juillet, je montais les cinq étages sans ascenseur qui me conduisaient vers l’atelier lumineux de Jeanne Lauricella. Vu l’état du livre le diagnostic fut sévère mais les promesses de guérison, encourageantes. Je laissais le « Corrozet » entre ces mains expertes avec l’espoir de le retrouver en décembre.

Les fêtes de fin d’année passées, je commençais à m’inquiéter. Et là je découvrais que malgré mon rang dans la file d’attente, d’autres clients avaient doublé. En effet les Grandes Institutions bénéficiaient d’une sorte de coupe file quand elles en avaient besoin pour faire restaurer quelques ouvrages. Je ne m’offusquais pas de la priorité accordée aux collections publiques, j’en profitais aussi quand je visitais des expositions. Mes échéances étaient plus lointaines, avril pour le salon du Livre rare au Grand-Palais.

D’ordinaire les libraires sont plutôt discrets sur les travaux de restauration des ouvrages. Je n’en vois pas les raisons. Les amateurs se doutent bien que ces ouvrages vieux de cinq siècles, ne peuvent arriver intacts dans une vitrine sans avoir connu quelques accidents.

Les  » Antiquités » restaurées par Jeanne Lauricella.

Alors j’ai décidé de lever le mystère de la restauration. Vous avez découvert l’état d’origine du livre. Après son passage sous les mains expertes de Jeanne Lauricella, il recouvrait son état initial quand il appartenait à une riche bibliothèque du début du XVIIe siècle, probablement celle de la famille Habert de Montmor.

De cette famille qui connut une brillante ascension sociale durant le XVIe siècle, on peut retenir plusieurs possesseurs éventuels de l’ouvrage : Louis Habert (1530-1622), successivement secrétaire des finances du roi en 1566, trésorier général des galères en 1582, trésorier de l’extraordinaire des guerres en 1584, conseiller d’Etat en 1588 et chevalier de Saint Louis en 1620. Il aura notamment trois fils : Jean (1570-1639), trésorier de l’Epargne depuis la fin du règne d’Henri IV et qui fera construire l’Hôtel de Montmor (aujourd’hui 79 rue du Temple), Pierre nommé en 1627, évêque de Cahors et sera aussi premier aumonier de Monsieur, duc d’Orléans, Louis, conseiller au grand conseil en 1608.   Henri-Louis (1603-1679), fils de Jean Habert, maître des requêtes et académicien fera exécuter de fine reliure par Macé Ruette, reliure qui porte le chiffre présent sur notre ouvrage et qui nous a permis de remonter vers son propriétaire supposé qui pourrait être Jean Habert pour respecter la  date de parution des Antiquitez (1608).

Un confrère, Alexis-Raphaël Antoine m’avait suggéré cette piste, un autre confrère semble la confirmer. Pour découvrir les reliures de la bibliothèque d’Henri-Louis Habert de Montmort voir l’article de Benoît Galland : Les reliures aux fermesses de la bibliothèque Habert de Montmort.

Mais revenons à l’ouvrage, Les Antiquitez et choses plus remarquables de Paris, il s’agit de la dernière édition plusieurs fois remaniée et augmentée de l’ouvrage de Gille Corrozet qui paraît pour la première fois en 1532 sous le titre de La Fleur des Antiquitez et excellences de la noble et triumphante ville et cité de Paris capitalle du Royaulme de France. Gilles Corrozet en fera paraître des réimpressions en 1533, 1534, 1535, 1539, 1543, 1550, en actualisant ses éditions successives. A partir de 1550, le titre change et devient Les Antiquitez, histoires et singularitez de Paris. Il y aura une 2e édition en 1561 qui sera la dernière parue du vivant de Corrozet qui décède le 15 juillet 1568. Par la suite Nicolas Bonfons va en livrer de nouvelles éditions augmentées sous le titre, Les Antiquités, chroniques et singularitez de Paris, par Gilles Corrozet, augmentées par Nicolas Bonfons. Ce sera notamment le cas en 1568, 1576, 1581, 1586. En 1588 paraît Les Antiquitez et singularitez de Paris, livre second. De la sépulture des roys et roynes de France, princes, princesses et autres personnes illustres, representez par figures ainsi qu’ils se voyent encores à preset es eglises ou ils sot inhumez; recueillis par Iean Rabel M.paintre. Cette édition est reprise à la date de 1605, de 1606  et de 1607 comprenant rassemblée le premier livre (1586) et le livre second avec les bois de Rabel (1588). En 1608, parait la dernière édition des Antiquités, elle est augmentée par Dom Jacques Du Breul qui le premier remonta aux sources historiques pour rédiger son ouvrage qui, jusqu’à Sauval, servit de référence pour l’histoire parisienne.

Outre les additions de Du Breul, l’édition de 1608 contient quelques modifications dans les bois de Jean Rabel. En effet la vindicte populaire ayant détruit en 1589 dans l’Eglise Saint Paul les tombeaux des trois mignons d’Henri III, Quelus et Maugiron tués dans un duel en avril 1578 et Saint-Mesgrin assassiné trois mois plus tard, les trois planches ont été retirées de cette édition. En revanche, une planche supplémentaire représentant la vision de Jean de Matha fondateur de l’ordre des Mathurins, y a été ajoutée.

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BONFONS (Pierre). Les Antiquitez et choses plus remarquables de Paris, Recueillies par M.Pierre Bonfons, Controlleur au Grenier & Magasin à Sel de Pontoise. Augmentées, par frère Jacques du Breul, Religieux octogénaire de l’Abbaye de Sainct Germain des Prez, lez Paris. Paris Nicolas Bonfons, 1608. Un volume in-12 (18,5 cm x 11 cm), 1 (Avertissement au lecteur)-2 (Elogia urbis parisiacae-19 (Table alphabétique)-448-2 (Les noms des évêques de Paris) pp.

54 bois gravés de Jean Rabel (4 planches courtes de marge).

Plein veau d’époque, dos à quatre nerfs, caissons décorés d’un monogramme (probablement celui de la famille Habert de Montmor), le même monogramme reproduit sur les plats entourés de 4 fermesses et aux angles, plats encadrés d’un triple filet doré.

Dernière édition des « Antiquitez  » qui comprend les bois de Jean Rabel utilisés dans l’édition de 1588.

Si vous êtes intéressé par cet ouvrage, vous pouvez nous écrire à : contact@paris-libris.com .

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