Carnet de route d’un combattant de la Première guerre mondiale. III.

Nous poursuivons aujourd’hui la lecture du carnet de route du caporal Robert Gruaz. En 1916, les combats s’intensifient et les engagements du Régiment de marche de la Légion étrangère sont nombreux. 

Souvenir de Mongobert. Janvier 1916.
Sur la route de Puissieux.

1er janvier 1916 : Notre musique donne un concert dans la mairie de Puisieux. Cette année sera-t-elle la dernière de la guerre ? 4 janvier : 519eme jour de guerre. De garde au téléphone.

Notre téléphone à Valut.

16 janvier : Nous quittons Puisieux à 8h du matin sous la pluie naturellement. Nous traversons Villers Cotterets et arrivons à Vauciennes à midi. Nous posons une ligne pour nous relier à Larguy (4 kil). La pluie a cessé et il fait très froid. 18 janvier : Depuis hier soir nous sommes Persu, Balit et moi détachés au Moulin de Valut où se trouve notre 2eme compagnie. Coïncidence heureuse la propriétaire du Moulin est amie avec des personnes en relations avec Persu. Aussi sommes nous bien reçus. Chacun un lit et nous mangeons comme des bourgeois. Fi de la roulante !! 28 janvier : Nous quittons Bouroines à 9h1/4. Nous passons à Abbeville St Lucien et arrivons à Francastel à 11h1/2 (Etape de 10 kil). Pays horrible plein de boue et de plus pas d’eau c’est gai !

Quelques vues prises à Crévecoeur (Février 1916)

6 février : Même exercice qu’hier et toujours aussi intéressant. Peut-on embêter le monde avec des manoeuvres qui ne riment à rien et ne font que vanner la troupe. 7 février : Exercice de 11h à 4h. On reste sans voix devant les imbécilités que l’on nous fait faire, et pourtant l’expérience de la guerre devrait commencer à se faire. Enfin !!! 10 février : Partis cette nuit à 2h, nous rentrons à 10h du matin. Nous devons remonter aux tranchées dans une dizaine de jours. Depuis quelques jours je n’ai pas de nouvelles de chez moi et comme je sais que mon beau père est malade je suis fort inquiet. 13 février : J’ai 31 ans aujourd’hui. Nous quittons Francastel à 8h30 et nous passons Foissy, Noyers, St Martin, Campreny et arrivons à St André Farivillers à 12h30. Nous devons rester ici 10 jours. Nous établissons une ligne de Farivillers à Camprenoy où se trouve notre Colonel.

Le Pôle Nord à St André Farivillers 22 février 1916.

22 février : La neige a commencé à tomber cette nuit et ce matin il y en a 15 centimètres d’épaisseur. D’après les bruits qui circulent celà irait mal du côté de Verdun et on pourrait bien y aller faire un tour. 23 février : Hier à 10h du soir coup de théâtre; On nous passe par téléphone l’ordre de se tenir prêt à être enlevé à 8h du matin par camions automobiles. En attendant pendant que les Compagnies dorment nous passons la nuit  à relever nos lignes. A 8h commence l’embarquement dans les autos. Il fait un froid de loup…Nous débarquons à Chavincourt à 11h30. Dans le bois nous faisons notre popote et à 3 h nous partons prendre nos postes aux tranchées de Ribécourt. Nous sommes dans des carrières abris solides mais d’un sinistre ! Notre position forme réduit et l’ordre est de tenir jusqu’au bout. D’ailleurs nous avons 6 jours de vivres en réserve et quantité de munition. Le 121eme que nous relevons dit que le coin est assez tranquille. Ce régiment qui fait partie du 13eme corps part pour Verdun où nos affaires paraît-il vont peu brillamment. Depuis 5 jours pas de nouvelles de chez moi et je suis dans les transes au sujet de mon beau père.

Le château de St Amand où le se troupe le P.C. de notre Brigade.
(Février 1916)
Le P.C. en 1ère ligne à la ferme d’Atiche. (24 février 1916)

24 février : Nuit calme, le matin un obus tombe en plein boyau et bousille le circuit téléphonique. Toujours la neige; Le soir le vaguemestre apporte le courrier et j’ai le regret d’apprendre la mort de mon beau père décédé le 20. Naturellement il est trop tard pour assister à son enterrement et de plus étant en ligne impossible de partir. Combien cette disparition m’affecte et va encore pour l’avenir augmenter mes soucis pour ma petite famille. 28 février : Charmacechin (?) se trompe de boyau et arrive sans méfiance près des tranchées allemandes. Il s’aperçoit trop tard de sa méprise et il est tué avant d’avoir fait 1/2 tour.

Sur la route de Marquéglise à Vignemont. Mars 1916.

2 mars : Partis de Bienville à 8h du matin, nous traversons Villers sur Coudun et arrivons à Vignemont à 11h1/4. Nous resterons 1 mois paraît-il. L’après midi nous montons la ligne de Vignemont à Marquéglise où se trouve notre colonel. Beau temps. 3 mars : Le général Codet passe notre Division en revue et remet quelques médailles. 7 mars : Toujours le froid. Les nouvelles de Verdun ne sont pas fameuses, et que doivent endurer les pauvres camarades qui sont en ligne dans cet enfer. 8 mars : Expérience contre les gaz. Nous passons dans une pièce remplie de vapeurs chlorées sans aucun inconvénient grâce à nos nouveaux masques.  12 mars : Ce matin un Albatros qui survolait notre village est abattue par un des nôtres. Le pilote a été tué d’une balle en plein front. Nous arrivons trop tard pour prendre un souvenir car tout a été carbonisé 2 minutes après la chute.

Cantonnement à Vignemont. Mars 1916.

14 mars : Le 129eme exécute des travaux autour de Vignemont. c’est ce régiment qui nous avait remplacé à Frise. Lors de l’attaque allemande du 28 janvier, il l’a perdu et 1 bataillon ainsi qu’une Compagnie de Mitrailleuses ont été faites prisonnières; Le journal n’a pas l’air de le dire et pourtant c’est la vérité puisque mon copain y a assisté. Allez donc croire à la sincérité des communiqués après cela. 15 mars : Un avion Allemand qui essayait de franchir nos lignes est descendu par Guynemer mais tombe dans ses lignes du côté de T…court. 18 mars : Plusieurs avions allemands essayent de franchir nos lignes mais nos batteries anti-aériennes leur font changer rapidement d’avis. 21 mars : Les compagnies travaillent avec acharnement aux travaux de défense et n’ont pas une minute de repos. On ne parle toujours pas des permissions à cause de Verdun. 23 mars : Avec notre chien Sioli, nous organisons une battue dans notre grange. Les rats devenant trop hardis. 7 pièces au tableau et plus du double se sont débinés. 29 mars : Parti de Vignemont à 11h sous la pluie et la grêle. j’arrive à Compiègne à 1h20. Le train ne part qu’à 7h25 en attend. j’arrive à Paris à 10h et à la maison à 11h.

Le poste téléphonique.
Corvée de bois. Forêt d’Ourscamp avril 1916.

Ma cabane « Le Bivouac »

2 avril : partit à 7h de Paris, j’arrive à Creil à 8h24 où je dois attendre le train de 10h7. Arrivé à Compiègne à 11h20 et après 2h30 de marche j’arrive à Vignemont. J’attrape une enguelade du capitaine car je devais rentrer hier soir. 4 avril : Toujours le beau temps. Nous profitons pour aller voir la statue de Jeanne d’Arc qui se trouve sur une colline où était bâti l’ancien château du duc de Béthune. 7 kil aller et retour. 10 avril : A 5h du soir nous quittons Vignemont pour monter aux tranchées en face Lassigny. Nous arrivons à nos postes à 9h. Les tranchées sont établies dans des bois qui sont pleins de sangliers. Je reste au poste du Colonel. Peru nous tire quelques gentilles photos. 12 avril : Il pleut un peu mais dans le bois cela n’a pas d’importance et avec Néry je passe ma journée à fabriquer des piquets pour le réseau téléphonique.

Le poste téléphonique d’Elincourt.

Elincourt.
L’Eglise.
Le cimetière.
La cour de l’école où nous sommes cantonnés

14 avril : Dans la matinée grande activité de l’aviation. Le soir je descends à Elincourt prendre le poste du Central téléph. 15 avril : Nous sommes cantonnés dans l’école et nous y sommes très bien. Il y a encore beaucoup de civils ici et l’on trouve à acheter tout ce que l’on peut, dame les prix sont assez élevés. Nous touchons les revolvers et rendons nos mousquetons. 20 avril : Journée calme à 1h du matin la ligne est coupée. Nous sommes obligés d’aller jusqu’à la Tasnière pour trouver la rupture. Nous redescendons par la route de la ferme St Claude et nous voyons 2 jeunes sangliers se baladant sans se biler dommage qu’il soit interdit de tirer, de nombreux accidents étant déjà arrivés. 24 avril : Beau temps. Avec le fourgon je vais faire du bois dans la forêt de l’Ecouvillon. Dans le commencement de l’après midi 5 ou 6 avions survolent Elincourt. Une bombe tombe près de l’Eglise à 25 mètres de notre cantonnement , pas….sauf un trou énorme dans la chaussée. le capitaine Carme est tué à Chauffour au cours d’une patrouille.

L’enterrement du Capitaine Carme.

25 avril : A 8h enterrement du capitaine Carme à Elincourt. Tous les officiers supérieurs assistent à la cérémonie et si les 2 avions boches qui survolent Elincourt à cette heure là lachait des bombes quel mastic cela ferait dans les légumes. Temps admirable même trop chaud. Un avion boche passe à la tombée de la nuit nous apprendrons demain qu’il a jeté 2 bombes sur Compiègne. 27 avril : Hier soir vers 11h un Zeppelin a survolé Ressons sur matz où se trouve le corps d’armée. Plusieurs bombes sont tombées près de la gare sans causer de dégâts.

Quelques vues de la route d’Elincourt à La Tanière.

Les téléphonistes du Colonel. Le Caporal Gruaz est au premier rang le premier à droite.

1er mai : Le calme s’est rétabli mais on se méfie; Un avion Fokker est descendu par note artillerie en face Chauffour. 2 mai : Le Capitaine Ramirez est blessé grièvement par l’explosion d’une bombe. Ce soir je sors avec une patrouille pour aller placer une fiche de terre dans les fils de fer Allemands. Au moment de rentrer nous sommes vus et on nous tire dessus. On rentre sans accroc, mais quelle émotion.

Trois vues de la route d’Elincourt à Roye. Mai 1916.

5 mai : La journée s’était passée tranquillement lorsque à 6h du soir. l’ordre arrive pour notre 2eme Brigade d’attaquer de fortin Allemand en face La Cornoy. L’opération réussit parfaitement pas de pertes chez nous. Pour se venger les Allemands bombardent Elincourt de 10h1/2 du soir à 1h du matin. Plus de 150 grosses marmites; résultats 2h 1/2 de séjour dans les caves et  1 cheval tué. c’est maigre !! 11 mai : Aujourd’hui on averti qu’un individu suspect habillé en kaki circule dans notre secteur. Malgré de nombreuses battues on ne peut le retrouver et cela est très embêtant. 15 mai : Aujourd’hui est arrivé un renfort de 140 poilus. 18 mai : Nous tirons de l’eau à la ferme ce matin lorsque les Allemands se mettent à la canonner copieusement. On se débine en vitesse en abandonnant les seaux que l’on vient chercher deux heures plus tard. 19 mai : On commence à parler de notre départ car il doit y avoir parait-il une grande offensive dans la Somme. 25 mai : Cette nuit une patrouille de la 6eme Compagnie a trouvé devant nos tranchées un écriteau planté par les Allemand sur lequel était écrit : Heureux seront les Français qui seront vivants après le 25. Bluff car pour l’instant on ne se porte pas mal. 27 mai : Je pars en permission. 28 mai-3 juin  : En permission.

8 juin : Nous allons au Plessier voir d’anciens camarades passés comme cadres aux Sénégalais. Durant la période d’instruction des grenadiers à Marquéglise la division a eu 2 officiers et 5 hommes tués. 11 juin : A 9h du soir un coup de téléphone nous apporte une bonne nouvelle. Les Russes ont encore fait 35000 prisonniers et 409 officiers. Aux tranchées cette nouvelle cause une grande joie et 2 pancartes rédigées en Allemand sont portées par nos patrouilles au ras des fils de fer allemands afin que les camarades d’en face en soient avertis. 12 juin  Le général Joffre signe un ordre du jour conférant à quelques unités dont notre régiment le droit de porter la fourragère. 14 juin : Journée calme, même trop calme, car ce mutisme des Allemand doit cacher quelques mauvais coups. A 11h, nous avançons nos montres d’une heure suivant la nouvelle conception. 15 juin : Comme on le sentait les Allemand essayent de nous prendre, en venant à l’effectif d’une Compagnie tenter une irruption dans nos 1ères lignes; Mais les mitrailleuses étaient prêtes et lorsqu’ils furent engagés dans les fils de fer dans lesquels ils avaient pratiqué des brèches sans que l’on s’en aperçoive, un tir rapide en couche en 1 minute la moitié sur le carreau le reste se débine en vitesse. 16 juin : De nombreux officiers anglais visitent le secteur et l’on pense qu’ils vont venir bientôt nous relever. Nombreux avions français sur lesquels les Allemands usent pas mal de munition sans résultat.

Sénégalais au bain. Juin 1916.

21 juin : Nous quittons Mouchy Humières à 9h30 par une chaleur terrible à la fin de l’étape qui est pourtant courte il y aura plus de 30 cas d’insolation. Je n’arrive pas à comprendre ces marches en plein soleil. Pourquoi ne pas partir 3h plus tôt. Enfin !!…Après une attente de plus de 2 heures en plein soleil nous embarquons dans les  wagons qui font l’effort d’entrer dans des chaudières…Nous arrivons à Bagonvillers à 3h du matin. 23 juin : Aussitôt arrivés même sans défaire les sacs on s’écrase sur l’herbe car tout le monde tombe de fatigue. Vers 10h du matin nous installons le cap sous la ronde incessante des avions de garde. l’attaque doit avoir lieu le 26. Le temps est toujours terriblement chaud. 24 juin : Je profite que nous sommes à 4 kil de Morcourt pur aller voir les personnes dont nous avions fait connaissance lors du séjour du 3eme de Marche en 1914. Tout le long de la route ce ne sont que des camps remplies de troupes et d’artillerie. Au retour une surprise désagréable nous attendant. Nous levons le camp pour aller dans un bois entre Chuignes et Proyart. Partis à 6h30 à Bagonvillers nous n’arrivons à ce bois que vers minuit malgré qu’il n’y ait qu’une dizaine de kil à faire. Mais la route est encombrée pire que le carrefour des Galeries Lafayettes. 27 juin : Ce matin on nous passe à la tondeuse, en vue des blessures à la tête, charmant !!! 29 juin : Le temps est un peu moins mauvais mais nous ne remonterons qu’après demain quand même. Le bombardement continue terrible surtout du côté des Anglais où il est vraiment infernal. 30 juin : Nous déposons les sacs. A 10h une remise de 108 croix de guerre une paille !!!sans doute un stimulant pour la prochaine attaque. c’est demain à 6h que doit avoir lieu la sortie pourvu que le temps se maintienne et que nous réussissons cette fois.

Prochaine parution sur le carnet de route du Caporal Robert Gruaz, samedi 24 mars.

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